Citoyens du monde

Photo de Seth Doyle


Je ne vous parlerai pas de Formentera, de la maison charmante entourée de pinèdes, les pins d’Alep et les genévriers, le jasmin et les bougainvilliers, les figuiers de Barbarie, l’olivier, le chant des grillons et le ciel blanchi de soleil. Non, je ne vous parlerai pas de la maison, mais de son propriétaire.

M. est un homme dans la quarantaine, marié à une Russe, deux enfants. Sa maison est adjacente à celle que nous habitions ; le terrain comprend également une sorte de grange transformée en atelier d’artiste. M. est franco-suisse par son père et israélo-égyptien par sa mère. Il a vécu son enfance en Suisse, son adolescence à New York. Détenteur de quatre passeports, il a créé plusieurs sociétés à Charm el-Cheikh et à Goa. Il s’est installé à Formentera à la mort de sa mère il y a trois ans ; il loue aux touristes son ancienne maison, connue pour être l’une des plus anciennes de l’île. La petite famille passe l’hiver à Saint-Petersbourg. Ses fils suivent leurs scolarité par correspondance l’été, à l’école française l’hiver.

Formentera change, et le développement touristique de la petite île ne lui plait guère. Il nous explique la fin des hippies (sa mère a acheté le terrain en 1969), le déferlement de la jet-set d’Ibiza, la volonté de la municipalité de transformer Formentera en Ramatuelle espagnole. Il envisage de repartir. « Et vous irez où ? – En Uruguay. » Il y achètera des haciendas à rénover et à louer, comme il le fait aujourd’hui. Son métier se transporte bien. Sa seule inquiétude : les racines de ses enfants. Pourront-ils accepter d’être citoyens du monde, comme lui ?

Je connais un autre citoyen du monde. T. est un jeune homme de 27-28 ans. Lorsque je l’ai rencontré, il travaillait dans un bar réputé du Marais ; il était également graphiste. D’origine anglaise, il parle quatre langues couramment et sans aucun accent : l’anglais, le français, l’allemand, l’italien. Il les a apprises sur place, au cours de ses périples. J’avais été surprise d’apprendre qu’il n’était pas français, et mon amie italienne soufflée de l’entendre parler italien. J’avais beaucoup de plaisir à parler avec lui. Il était cultivé et curieux ; il connaissait Paris mieux que les Parisiens, ses musées intimistes, ses jardins cachés. Il a quitté Paris il y a maintenant près de deux ans pour s’installer à Bali. Je le suis grâce aux réseaux sociaux. Il a l’air heureux. Je ne pense pas qu’il revienne un jour en Europe.

Je pense à eux aujourd’hui, et à moi, heureuse d’avoir quitté Paris quelques jours, heureuse d’y être revenue. Je pense à tous ces gens qui ont quitté leur terre, non pas par nécessité économique, environnementale ou politique, mais par choix, à tous ces gens qui ne reviennent pas. Et puis je pense à moi, à mon arbre, mon nid, à Paris.

 

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commentaires

  1. Richard

    Il est plaisant de lire que des amis ont réussi la scission et sont heureux dans un nouveau mode de vie. Ils peuvent nous manquer physiquement, mais le lien n’est pas rompu.

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