Marqueurs

New York

1WTC, New York, septembre 2018 – © Aurelia Gantier


Vendredi, à l’heure où les deux économistes de France Inter s’apprêtent à ferrailler en direct, j’ai migré sur France Culture. L’émisson était consacrée au 11 septembre. J’ai atterri au milieu de l’architecture de Ground Zero, survolé le quartier lors de sa reconstruction et pris un café avec ses ouvriers de l’ombre dans l’un des rares troquets encore ouverts aujourd’hui. Pour ne pas faire de jaloux, on parla également de nos attentats à nous qui se donneraient en procès pour neuf mois et du dernier attentat irakien. Alors plus tard, quand je me suis installée en tailleur sur le tapis de yoga, cherchant l’intention du jour, elle s’est imposée et j’ai envoyé de l’amour aux victimes d’attentats, à leurs familles et à leurs proches, et à nous tous qui en subissions les conséquences de par le monde.

Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions les 11 septembre et 13 novembre. Nous pouvons même parler météo : il faisait beau, il ne pleuvait pas – T., sa poussette et moi courions dans la rue pour nous éloigner du Bataclan à côté duquel nous avions dîné, et il ne pleuvait pas.

Toute la journée, j’ai mâché mes souvenirs. Je les ai sortis, je les ai triés, je les ai rangés.

Le tabac où je m’étais réfugiée le 14 novembre – oui, oui, le 14 novembre, cela marche aussi – et où tout le monde pleurait. Je revoyais les gens entrer dans la salle, s’acheter des cigarettes et ressortir en pleurant.

C., enceinte jusqu’aux dents, qui travaillait dans le quartier des Tours. Elle a répondu à mon appel. Elle a répondu à tous nos appels, nous qui pleurions et elle qui nous rassurait.

L’attentat auquel j’avais survécu en Thaïlande et l’amie qui avait réussi à me joindre et que, à mon tour, j’avais rassurée.

Le lit que T. m’avait improvisé dans son salon et le téléphone qui n’arrêtait pas de sonner – j’habite rue de Charonne. Tu ne rentres pas, tu restes chez T., je t’interdis de rentrer.

Tous ces souvenirs marquants-traumatisants parlaient aussi d’amour. Ils parlaient d’attentats, de kamikazes, de complotistes et de cons mais ils parlaient aussi d’amour. Nous baignions dans l’amour. Et c’était bien. Et j’en avais besoin.


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