Where is Brian?

Folette par Marc Gantier

Follette – © Marc Gantier


Je devais avoir l’âge de raison depuis peu et sa mère essayait de m’apprendre l’anglais. J’avais peu de dispositions. Je n’aurais pas dû le savoir mais ma mère à moi m’avait dit que sa mère à elle lui avait dit que j’avais peu de dispositions. À cet âge fragile où l’on a tant besoin d’encouragements, cet aveu inutile — les cours continuant néanmoins — m’avait figée dans un mutisme et un désintérêt profond pour la chose. J’étais bloquée.

Les encouragements, ce n’était pas notre fort dans la famille. Les fées de l’enthousiasme et de la reconnaissance n’étaient passées par aucun d’entre nous à la naissance. Nous ne savions ni jouir, ni féliciter, ni remercier, ni admirer. Un terreau blasé coupait les pattes des petits êtres charmants avant même qu’ils sachent marcher. Les résultats scolaires étaient soutenus, nous étions sportifs ou musiciens, c’était la moindre des choses ; tout acte héroïque d’enfant passait inaperçu. Une erreur par contre, une maladresse, une bêtise, était soulignée pendant de longues années. À huit ans, je savais déjà que je serais mauvaise en langues et que mon niveau d’anglais serait handicapant pour l’avenir.

À cette époque, j’avais une chatte blanche et noire que j’aimais par-dessus tout. Elle s’appelait Follette et elle avait les yeux verts, comme moi. Un de mes oncles l’avait trouvée dans la rue le soir de mon anniversaire et l’avait amenée chez ma grand-mère. Dès que j’ai vu la peluche, j’en suis devenue folle. Je venais d’avoir six ans. Du côté des parents, c’était plutôt la soupe à la grimace ; mais comment enlever à une fillette de six ans son premier animal de compagnie ? Je l’ai gardé et nous l’avons appelé Follette, en référence à l’album cartonné que je gardais dans ma chambre et qui racontait l’histoire du chat Follet.

Sa mère essayait malgré tout de m’apprendre l’anglais. Je crois que c’était une bonne professeure ; elle enseignait à l’université. Ce jour-là, elle avait préparé une bande dessinée sur un paperboard. C’était l’histoire d’Aurélia, seule chez elle un soir, qui entendait du bruit au rez-de-chaussée. Courageuse, elle prenait une lampe torche. « Je suis Alice Détective », se disait-elle. Elle descendait l’escalier et trouvait Follette qui faisait des bêtises dans la cuisine. Mais moi, j’étais bloquée. Je n’y arrivais pas. Je n’arrivais même pas à lui dire qu’elle dessinait bien, que son histoire était bien sympathique, et la remercier pour l’énergie qu’elle déployait pour mon amusement. Même ça, je n’y arrivais pas. Bouche cousue et bras croisés. J’étais encore une enfant.

 


commentaires

  1. Soléa

    La vie ce n’est pas un conte de fée, c’est le rêve que l’on fait.
    (Follette, je l’aimais mais elle était très sauvage car elle n’aimait pas beaucoup les marques d’affection, elle y répondait en sortant les griffes)

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