Le pigeon

Illustration de la causeire Le pigeon par Alice Gantier

© Alice Gantier


J’avais rencontré G. à Saint-Tropez. Elle était toulonnaise et notre amitié s’était nouée autour de nos déboires sentimentaux respectifs : nous étions venues passer le week-end chez nos nouveaux petits amis, des saisonniers qui vivaient dans une grande maison collective près de la plage de Pampelonne ; nous avions été larguées à quelques heures d’intervalle en début de week-end. Je vous laisse imaginer l’ambiance des jours suivants.

G. venait régulièrement à Paris. À chaque fois, son arrivée faisait sensation. Je l’attendais devant un bar et la voyais venir de loin, avec ses anglaises, ses talons hauts et son manteau à longs poils blancs. Elle était plus sophistiquée et plus sexy que les Parisiennes, mais très jolie avec son teint hâlé et ses grands yeux éblouissants de bleu. J’aimais son énergie et sa joie de vivre.

Pourtant, après quelques jours passés à Toulon, nous avons cessé de nous fréquenter. Nous étions trop différentes l’une de l’autre.

Elle travaillait maintenant dans une boite de nuit. Le « Patron » était également son petit ami. Après m’avoir annoncé qu’il avait fait de la prison pour proxénétisme et avoir pu constater l’effet désastreux de son aveu, elle avait tenté de me convaincre qu’il n’y était pour rien, sans succès. Je me méfiais du personnage avant même de le rencontrer.

J’ai gardé de ces quelques jours un grand mépris pour cette pauvre ville de Toulon qui ne m’avait rien fait. J’errais toute la journée puis rejoignais G. à son réveil vers 17 heures. Elle partait se faire coiffer avant de rejoindre son lieu de travail. Au petit matin, je m’endormais sur une banquette jusqu’à l’heure de la fermeture, puis nous retournions à la maison. G. allait se coucher, j’étais épuisée. J’ai découvert le monde de la nuit : les clubs de strip-tease, les arnaques, les défilés de lingerie, les sex-shops, les soirées cuir et latex. De retour à Paris, j’étais heureuse de retrouver la lumière.

Des années plus tard, G. m’appelait. Le Patron était en prison à Paris. Il était tout à fait innocent, elle me raconterait toute l’histoire dans une lettre. Elle avait besoin de moi. J’ai reçu la lettre quelques jours plus tard.

Elle me demandait de rendre visite au Patron en prison. Elle ne pouvait pas venir à Paris elle-même et s’inquiétait pour lui. Elle avait également quelques messages à lui faire passer. Je n’en ai retenu qu’un seul : « Dis-lui qu’on a brûlé les vêtements et la voiture. »

J’ai immédiatement rappelé. J’étais très en colère. Je lui ai suggéré de prendre un billet de train et de faire ses commissions elle-même. Inutile de dire que je n’ai plus eu de ses nouvelles. Aujourd’hui, je me demande ce qu’ils avaient bien pu trafiquer. À l’époque je ne m’étais même pas posé la question. J’étais juste furieuse que l’on me prenne pour un pigeon.

Je n’aurais pas dû jeter la lettre ; aujourd’hui elle m’aurait divertie.

 


commentaires

  1. Carole

    Et moi qui bêtement te demandais il y a quelques jours si tu avais des nouvelles de G… J’avais oublié la chute de l’histoire… Le manque de lumière obstrue la pensée !

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