Narcisse ou la Reine-Sorcière

Narcisse

Narcisse ou la Reine-Sorcière
Miroir, mon beau miroir, combien de likes me faudra-t-il pour dire que je suis belle/intelligente/spirituelle/tendance/tellement chic… D’ailleurs ce post, si on y réfléchit bien…


J’avais posté l’image accompagnée de son commentaire sur Facebook il y a quelques mois après une overdose de selfies. À l’époque déjà, cet amour impudique et vaniteux de sa propre image m’avait interpellée. J’y ai repensé récemment lors d’une séance photo. Je me faisais tirer le portrait et l’exercice m’était des plus pénibles. « Mais comment font-ils ? »

La main dans la poche, comme ça, tournez légèrement vers la droite, levez la tête vers la lumière, regardez-moi, voilà, un sourire et c’est parfait.

Mais comment font-ils ? Tout le monde aime les autoportraits, une photo rassurante de fraîcheur, d’élégance et de sensualité, une photo qui nous ancrerait dans un univers différent, pétillant et envié ; même moi. Je n’aurais jamais avoué vouloir un autoportrait qui me plaise, en adéquation avec l’image que je me faisais de moi et que je voulais donner. Et pourtant, j’en ai rêvé il y a quelques mois, j’en rêvais encore lors de cette séance de cauchemar, où une heure durant me torturaient un photographe et sa maquilleuse.

Secouez votre tête, libérez vos cheveux, remets-lui de la poudre sur le front, redressez-vous, moins sévère, souriez, c’est bien.

Les selfieurs se prennent en photo, se trouvent vraisemblablement à leur goût – sans quoi la photo finirait dans la poubelle du smartphone – et la mettent en ligne. Je me fais photographier par des photographes professionnels, ils m’exhibent fièrement l’image, et immanquablement je suis effrayée par le résultat : un monstre brushé. C’est moi, ça ? Est-ce vraiment de cette façon-là que les gens me voient ? Les pores dilatés et la peau terne, le nez gras des alcooliques, le nez démesurément long, les paupières tombantes et les poches sous les yeux, le visage ramassé, le cou et les épaules d’une femme forte et solide, moi qui ai toujours été fine – moi qui pensait être fine. Est-ce vraiment ce visage que les gens voient et que je ne vois pas ?

L’appareil photo agit comme un aspirateur ; il exhibe l’état d’esprit du modèle à l’instant de la prise – j’aime me trouver beau ou tout cela m’ennuie. Et l’on se trouve figé pour l’éternité, révélé au monde, dénudé. Et pourtant, vivre avec son temps, c’est se montrer. Peut-être qu’un jour, je changerai la photo sur le blog et les réseaux sociaux, et alors je me demanderai : ai-je grandi, en acceptant mon nouveau visage, ou rajeuni, comme cette génération de preneurs de selfies ?



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