Certains philosophes ont pensé que la guerre était toujours la pire des solutions. Ils n’avaient probablement pas envisagé Hitler.
La question s’est posée la semaine dernière, alors que j’écoutais un médecin militaire parler de la Syrie sur France Inter. Il évoquait la Ghouta orientale en parlant de guerre moyenâgeuse. Et je me demandais, existe-t-il des guerres qui ne le sont pas ?
J’ai suffisamment milité par le passé pour connaître le droit de la guerre, autrement appelé droit humanitaire international. Un ensemble de règles et de traités visant à protéger les victimes, contrôler les moyens et méthodes utilisés et faire respecter les droits humains en cas de conflits armés. Plus jeune, j’y ai cru. Il existe un droit international, répétais-je. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, me répondait-on. Je croyais sincèrement que les militaires pouvaient souhaiter respecter les droits de l’homme, s’attacher à ne cibler que des bases militaires, qu’une trêve pouvait être respectée, et des négociations aboutir, je pensais sincèrement qu’une milice pouvait ne pas se mêler à la population pour se protéger, ni utiliser le viol comme arme de guerre, qu’une stratégie militaire pouvait ne pas forcément s’appuyer sur la destruction de l’adversaire, et dans mon monde à moi, on faisait la guerre sans morts, sans détruire les écoles ni les hôpitaux, ni dévaster les civils, bref, dans mon monde à moi, on faisait la guerre avec des couronnes de fleurs dans les cheveux en chantant « L’île aux enfants » et c’était bien.
Bien sûr, on se foutait de moi. Il n’y avait qu’à voir en Yougoslavie ou en Irak, rien de tel ne se passait ; et même si on reprenait toutes les guerres depuis la Seconde Guerre mondiale, aucune ne respectait le droit humanitaire international, jamais. On me regardait comme une personne tout mignonne avec ses jolis idéaux mais bien naïve tout de même, voire, lorsqu’on était de plus méchante humeur, comme un prototype du militant bien-pensant qui emmerde un peu tout le monde avec ses drôles d’idées et pourrait même le mettre en danger. Encore aujourd’hui, souvent, on me considère comme tel.
Alors, ce droit de la guerre, à quoi peut-il bien servir ? N’est-il pas inutile ?
Plus souvent que je ne le souhaiterais, il m’arrive de croiser des personnes qui ne croient pas en l’impact d’associations de défense des droits humains telles qu’Amnesty International ou la FIDH. Alors je leur raconte deux anecdotes. Lorsque je suis entrée à Amnesty il y a des années de ça, aux Etats-Unis, les femmes emprisonnées accouchaient enchainées sur le lit, des fois qu’elles voudraient s’enfuir ; une campagne a permis de changer la loi. La seconde concerne votre épargne. AXA investissait dans des entreprises fabriquant des bombes à sous-munitions. Handicap International et Amnesty International ont eu raison de la compagnie d’assurance qui changea ses règles d’intervention.
Voilà à quoi il sert, le droit de la guerre. À rappeler qu’on ne veut pas de ce monde-là et tenter de faire plier, même si on n’y arrive pas toujours, et aussi se dire que sans lui — est-il dingue, quand on y pense, de devoir légiférer là-dessus — ce serait pire, bien pire.
Alors la guerre ? Pour ou contre ? Contre bien sûr, à 75% contre, mais pour les 25% qui restent… Fallait-il laisser Hitler faire ses petites affaires sans intervenir ? Faut-il laisser les islamistes maliens et syriens prendre possession des pays ? Alors on fait quoi ? Je me fais des nœuds au cerveau avec toutes ces histoires. « C’est une guerre moyenâgeuse. » Vous connaissez des guerres qui ne le sont pas ? C’est quoi une guerre contemporaine ? Une guerre pendant laquelle on ne tue pas ?
Eh bien voilà toute l’histoire : il faut défendre l’idée d’une guerre pendant laquelle on ne tue pas, même si on sait que ce n’est pas vrai, là n’est pas l’important, on s’en fout même. L’important, c’est de la défendre, cette guerre propre, car la défendre rendra les conflits moins dévastateurs, du moins c’est ce qu’on croit. Les militants ne sont pas stupides : ils savent bien que le monde qu’ils défendent n’existe pas, mais l’approcher est déjà un succès. Jour après jour, nous avançons vers lui. Ce n’est pas le monde parfait auquel nous aspirons, probablement ne le verrons nous jamais ; il reste encore beaucoup à faire, des chantiers immenses sont encore à entreprendre, mais soyons réalistes : je ne suis pas certaine qu’on ait tous envie de retourner vivre au Moyen-Âge non plus.