© Aurelia Gantier
Je feuilletais un magazine féminin chez le coiffeur quand je suis tombée sur un article traitant de la perfection. Quatre personnalités y étaient interviewées : un chanteur, une productrice, une styliste et un écrivain. Trois d’entre eux expliquaient à quel point l’idée d’exceller dans leur discipline soutenait quotidiennement leur travail. Ils étaient exigeants, leur entourage professionnel leur en était finalement reconnaissant, les résultats suivaient. L’auto-satisfaction qui sous-tendait leur discours m’amusa. Le quatrième avait un discours plus nuancé et questionnait le souci perpétuel d’atteindre la perfection des voix et des corps par la technologie moderne, au risque de changer le rapport à la réalité. Sa position m’interpelle davantage, probablement parce que je la partage aujourd’hui après des années d’incompréhension totale.
Je me souviens d’un ami qui m’expliquait adorer les collants filés. L’idée qu’une jeune fille ait mis des heures à se préparer pour finalement filer ses bas en cours de soirée le faisait fondre. Derrière les bas filés, il entrevoyait un peu de la fragilité de la jeune fille nécessaire à son désir, cette même fragilité qu’elle-même avait justement tenté de cacher derrière son armure d’invincibilité. L’imperfection de la tenue renvoyait un peu de l’humanité qu’il lui manquait.
C’est ce que j’ai compris de la position du musicien. Les photographies photoshopées, les voix auto-tunées sont parfaitement inhumaines, c’est-à-dire sans caractère, sans émotion, sans fêlure. Que serait devenue la face de la terre si Cléopâtre avait eu un nez plus court, Arletty une voix de sucre, si Picasso et les surréalistes n’avaient pas à un moment donné rejeté les canons artistiques pour cracher des œuvres imparfaites et totalement ratées pour leur époque ?
Lorsque les trois autres personnalités parlent de la perfection qu’ils tentent d’atteindre dans leur travail, ils parlent d’eux-mêmes, de leur passion, de leurs valeurs et du prix qu’ils accordent à leur oeuvre. C’est on-ne-peut-plus honorable, je ne peux que partager ce souhait d’aboutissement artistique, mais il s’agit là de perfection subjective. Un travail parfait, une oeuvre parfaite, à nos yeux, pour nous, selon notre vision, notre désir, nos capacités.
Quant à moi, je crois avoir bien progressé sur le sujet. Lorsque j’ai décidé de lancer le blog, et maintenant, à chaque fois qu’il s’agit d’appuyer sur le bouton « publier », il me vient toujours la même réflexion : « C’est bien assez parfait comme ça ! »