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Bangkok par Aurelia Gantier

Bangkok – © Aurelia Gantier


Ce lundi matin, alors que je pénètre dans la salle surchauffée du Pain Quotidien, un brouhaha de hall de gare m’agresse. J’hésite à ressortir mais la jeune fille ne me laisse pas le temps de réfléchir et m’installe à une table commune ; à côté de moi, trois Hollandaises, dont une petite fille lisant à haute voix, en allemand, sous le regard bovin des deux autres. La plupart des tables sont occupées par des touristes ; ça et là, des valises. Je me demande ce qu’ils peuvent bien faire rue de Charonne un lundi matin. Seraient-ce les vacances scolaires également dans les autres pays européens ?

Je commence à râler en silence — l’un de mes sports favoris : je ne suis pas parisienne pour rien. La jeune fille lit trop fort, il faudrait le lui dire. Je ne parle pas hollandais mais j’ai encore de pauvres restes d’allemand : « Könnten Sie ein bisschen ruhiger lesen, bitte? » Décidément, tu n’es pas très agréable ce matin. C’est ce monde, là, je ne m’y attendais pas. Habituellement la salle est déserte. Nous ne sommes pas dimanche, ce n’est pas l’heure du brunch, alors quoi ? Note bien que les touristes n’y sont pour rien. Hormis les Hollandaises, les autres savent se tenir. La salle serait pleine de Parisiens, tu serais agacée de même : tu détestes le bruit. Tu devrais tout de même être sympathique. Ces pauvres touristes ne t’ont rien fait.

Que viennent-ils faire par ici ? Depuis quelques mois déjà, des visites guidées ont lieu place d’Aligre. Le dimanche en fin de matinée, habituellement pressée, je cours acheter quelques légumes sous la halle Beauvau et je butte contre des touristes, immobiles au milieu de l’allée, désemparés, l’appareil autour du cou — te souviens-tu que tu fais de même ? – non, je déteste les visites guidées.

C’est vrai. J’avoue : j’adore les marchés. Comme tout le monde. J’ai visité le plus grand marché de Bangkok, le marché aux poissons de Tokyo, le marché indien de Silvia en Colombie. Comme tout le monde. Et je tenais mon appareil photo à la main. Comme tout le monde. Et les autochtones devaient se dire : « Mais bon Dieu, que viennent-ils faire par ici ? Ils n’ont jamais vu de poulets ? Ils ne devraient pas être à visiter le Palais Impérial en ce moment ? »

Ben non. Moi et tous mes copains touristes autour de moi, nous aurions préféré traverser la ville pour visiter le marché traditionnel d’un quartier populaire ; et déjeuner dans l’une de ces tavernes tellement typiques qu’on y dérange tout le monde. À Tokyo, on a même refusé de me servir et on m’a demandé de sortir. J’étais tellement vexée ! Voudrais-tu être aussi désagréable que ce Monsieur ? La petite Hollandaise me regarde. Je lui souris.

De retour du Japon, quelques spécialistes étaient étonnés de mes choix, si peu touristiques. « Nous adorons ce quartier mais nous ne te l’avons pas proposé car c’est plutôt l’objet d’un second voyage. » Un peu comme le Queens à New York. Ou ce que j’imagine être la rue de Charonne.

J’ai quitté République lorsque le Canal Saint-Martin commençait à ressembler à la rue de Bretagne. La rue de Charonne va-t-elle devenir le nouveau Canal ? Je regarde les devantures des boutiques, les passants, la rue de Lappe. Ça va, il y a encore de la marge !

 


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