Le Bossu, Gobbo du Rialto – Venise – © Aurelia Gantier
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.
Proust
Je reviens de Venise. Pour ma troisième visite, j’ai choisi le printemps. J’avais écumé ses canaux bleu indigo sous le soleil d’hiver, je les retrouvais métamorphosés par la chaleur et la foule pascale. Quarante-huit heures à me gaver d’art contemporain, à écrire aux terrasses de café et à marcher le nez levé ; tant de beauté me remplissait de joie. Deux jours avaient suffi pour me débarrasser de mes grisailles. Et pourtant.
Il n’est pas de meilleur voyage que celui entrepris en solitaire, seule période où les notions de moment présent et de lâcher prise prennent tous leurs sens. J’envisage les voyages comme des rituels purificateurs. Je pars au bord de la rupture et reviens en pleine forme, détoxiquée et apaisée. Après plusieurs jours, mon visage s’est adouci, j’ai ralenti le rythme, je me sens parfaitement alignée, de corps et d’esprit ; c’est le moment généralement choisi pour prendre le nouveau portrait. Celui de l’an dernier a été pris au Japon, le précédent en Thaïlande. Pendant ces retraites sociales, je procède également aux grands bouleversements de mon existence ; comme arrêter de fumer par exemple. Je rentre à Paris persuadée d’être enfin totalement ancrée et que rien ni personne ne pourra me faire chavirer. Et pourtant.
De retour dans la capitale, rien ne change, ni mon rythme frénétique, ni mon état d’esprit, et quelques mois après un voyage mémorable, généralement, arrive l’accident. Cette fois-ci, il n’a pas fallu plus de deux jours pour qu’une chute à vélo m’envoie directement chez le docteur. Je rentre regonflée à bloc, il me semble que rien ne pourrait m’arriver et pourtant tout arrive. Et les accidents et le reste. Alors quoi ?
Que restera-t-il de ces quelques jours à Venise en dehors des souvenirs, des images et des odeurs ? J’ai beaucoup réfléchi ; sur le Campo delle Beccarie où je prenais mon dernier café, et aujourd’hui devant mon ordinateur, le genou en vrac et un œuf de pigeon sur la tête. Que me restera-t-il de Venise ? Sur le chemin du retour, je listais les changements que je souhaitais apporter à mon rythme parisien, changements oubliés le soir même. Ralentir le rythme est un vœu pieux, aussi risible que les bonnes résolutions de la nouvelle année. Pourquoi est-ce si difficile ? Les voyages et les accidents corporels me parlent, je crois comprendre leur message.
Comme cette fois où j’avais jeté par mégarde mon téléphone dans l’eau ; j’avais aussi oublié mon livre sur le comptoir dans la boutique de l’opérateur. Je le réalisai trop tard, à la terrasse d’un café où j’avais commandé des lasagnes accompagnées d’une salade verte. Je me retrouvais sans occupation, de mauvaise humeur, et bien obligée de profiter de mon plat et de mon environnement. Pause obligatoire pour la Parisienne survoltée. Pourtant ce n’était pas désagréable, bien au contraire, et je me promettai de recommencer ; mais le soir même, je me reconnectais, frénétique.
Une vacancière à Paris, voilà que cela me revient encore. Mais comment faire ? Comment cumuler plusieurs vies, plusieurs projets, plusieurs ambitions dans 24 heures et être une vacancière quand même ? Comment faire pour continuer à avancer sans se rompre ? L’apaisement, la soif de culture et de beauté, se marient mal avec les agendas surchargés et les to-do-list à n’en plus finir. Alors quoi ? Qu’est-ce que ces voyages m’apportent que je ne puis rapporter à Paris ?
Militante des droits humains, de la littérature et de la flânerie… Il ne faut pas se mentir : j’ai ma petite idée…