Les politiques nationales m’ennuient. Elles manquent de hauteur. J’essaye de suivre le 7/9 de France Inter ; je finis le plus souvent sur RFI – au moins avec l’actualité africaine, je révise ma géographie. Finalement, je n’ai pas beaucoup changé : étudiante, j’aimais déjà les pages internationales du Monde. Les histoires de taxes et de carburant, les buzz médiatiques et les petits scandales ne m’intéressent pas. Ce matin, j’étais plus intéressée par le vote du Parlement anglais que par le grand débat national.
Je sais : c’est mal.
À Nice où je me suis réfugiée quelques jours loin de l’agitation parisienne, je rentre dans une pizzeria pour, cela va vous étonner, manger une pizza, mais surtout pour lire tranquillement en mangeant. Je sors mon livre. À la table voisine, déjà, deux hommes tentent d’entamer la conversation. Je réponds le plus succinctement possible : le roman de Nicolas Mathieu requiert toute mon attention. Je prononce le nom « Goncourt ». Les deux hommes me regardent étrangement. La pizza occupe bientôt toute la table. J’avance par quart : découpage en petites bouchées puis reprise de la lecture, puis reprise du découpage et…
– Excusez-moi.
– Oui ?
– Que pensez-vous des gilets jaunes ?
– Ah ! Non ! S’il vous plait ! Je ne veux pas du tout parler de ça.
Mon interlocuteur recule, un peu surpris, très mal à l’aise : « excusez-moi ». Je m’en veux de ma réaction : « Vous comprenez : je lis. » – « Oui, bien sûr. » Je compris par la suite qu’ils participaient à l’organisation du débat local. On me payerait que je n’irai pas. Chacun ses combats.
Mon père a fait Mai 68 en collant des affiches de Boris Vian sur les murs. « Il était révolutionnaire ? », lui demandait-on – « Oui, oui. » Mon père détestait les révolutionnaires, des bourreaux sanguinaires condensés d’énergies négatives : colère, jalousie, peur…. Il préférait les poètes.
Au XXe siècle, le militantisme politique pouvait encore se targuer d’enjeux philosophiques et mondiaux, mais maintenant ? De quoi parle-t-on ? Du capitalisme ? De l’économie ? De l’immigration ? Et vous ne trouvez pas cela abrutissant ? Si au moins on parlait culture, éducation et environnement.