Partir

Ramasser des galets


L’hiver trop long et le printemps trop froid, le visage tiré des Parisiens, les yeux cernés et le teint blafard, le regard fermé et la bouche sans sourire, marcher dans les rues et ne rien voir, l’un à côté de l’autre, bien isolé dans soi, petites bulles hermétiques qui glissent sans possibilité de rencontre.

Tension.

La tension de l’entre-deux-tours, une campagne trop longue et des espoirs trop souvent déçus, des colères, des frustrations et des inquiétudes, fake news et petites humiliations, une certaine façon d’envisager la politique, le petit bout de la lorgnette, un tour, deux tours et puis s’en vont, pas de troisième manche possible.

Inquiétude.

Inquiétude corporelle, chutes et accidents, un genou, deux genoux, pas de genou de rechange, les disparitions de la semaine, un mort, deux morts, se dire que c’est la semaine du nombre deux, ce nombre symbole d’union et d’adhésion détourné en symbole de chute et de saut dans le vide, la douleur des vivants, regarder la Mort bien en face, comment a-t-Elle pu me faire ça, se dire que personne n’aime vieillir, ni décrépir, ni mourir, que personne ne recherche l’immortalité mais personne ne veut être confronté à la mort, se retrouver seul, dans la solitude de la vieillesse, entouré de son Panthéon aux morts.

Fuir.

Fuir les relations malsaines et les conversations vénéneuses, fuir les béquilles qui ne soulagent ni ne soignent.

Partir.

Partir, s’envoler à des milliers de kilomètres d’ici, là où les peurs et les colères sont inatteignables, compter les jours et se parer de son ignorance, réapprendre à regarder, à entendre, à respirer, réapprendre le contact, l’humidité et la chaleur, réapprendre la poésie des choses et l’élégance des jardins,  aller se perdre dans des villes tentaculaires, sans repère, de langue, de culture, des sons nouveaux, le dessin des kanjis.

Partir, puis revenir.

 


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