Il y a quelques années, un jeune homme paranoïaque et colérique s’éprit de moi. Son affection débuta lors d’un week-end en Bretagne. Notre hôtesse m’avait mise en garde contre son mal-être, source de méfiance et d’agressivité. Cet étrange personnage n’en demeurait pas moins un ami fidèle de son compagnon ; elle ne pouvait pas ne pas l’inviter et, indirectement, nous infliger ses crises deux jours durant. Nous étions prévenus !
Tout se joua l’après-midi même de notre arrivée. Nos amis étaient partis faire des courses. Lui et moi étions restés à la maison. Je décidai d’éplucher les légumes et j’installai carottes, pommes de terre et navets sur la table du jardin. Le voyant ruminer seul sur le perron, je l’interpellai : « Ne reste donc pas là à ne rien faire, viens plutôt m’aider. » Il se plia de bonne grâce à ma requête et se joignit à moi dans la tâche d’aide de cuisine. Je ne garde aucun souvenir de notre conversation mais je me souviens qu’à ce moment précis, je ne l’ai pas trouvé désagréable. Malheureusement, ce fut de courte durée.
Pendant la soirée, il commença à m’accorder une attention malsaine, qui se traduisait pas des attaques verbales continuelles. Je n’en comprenais pas les raisons et ce fut notre hôtesse qui m’éclaira sur son étrange mode de fonctionnement. Aucune jeune fille n’osait s’approcher de lui, lui proposer de partager un moment – aussi anodin que le taillage de légumes – l’écouter et lui parler avec gentillesse. J’en avais trop fait et il était épris.
À l’époque, ce couple et moi nous fréquentions beaucoup. Après ce week-end, ce jeune homme jusqu’ici inconnu fut de toutes les soirées, me persécutant de ses avances haineuses et jalouses. Un soir, il en vint à agresser un garçon qui me parlait. Lorsqu’il quitta la soirée, écumant, je fus sincèrement soulagée et pus enfin profiter de mes amis. Je discutai avec l’une d’elles, lorsqu’elle éclata de rire en pointant dans mon dos. Son fou rire était tel qu’elle ne pouvait plus parler. Je me retournai. Il se trouvait là, derrière la fenêtre fermée, solidement accroché, et tapait contre la vitre pour qu’on lui ouvre. Je partis du même fou rire.
Plusieurs raisons expliquent notre réaction si peu charitable. Nous étions au deuxième étage d’un immeuble sans balcon, et s’il est une chose à laquelle on ne s’attend pas, c’est bien la vue d’un homme agrippé en ventouse à la vitre après avoir vraisemblablement escaladé deux étages à la force de ses doigts, et qui plus est, ce vilain personnage ; parti par la porte, il revenait par la fenêtre. Il tapait au carreau en me regardant. Plus il tapait, plus nous riions. Ce fut l’un des convives qui nous sortit de notre torpeur hilare. « Mais ouvrez-lui donc ! Il pourrait se blesser ! »
Fort logiquement, une fois la fenêtre ouverte, il fonça vers moi et mon amie décampa. Il était furieux de mon absence de réaction alors qu’il avait escaladé deux étages pour me rejoindre. « Pourquoi n’es-tu donc pas passé par la porte ? — Je n’avais pas le code. »
C’est l’un des derniers souvenirs que j’ai de lui. Des années plus tard, nos amis communs se marièrent. Il avait bu. Il était tombé dans la piscine et déambulait trempé dans les allées en insultant les invités. Il me hurlait de ne pas avoir peur, et plus il criait, plus j’étais terrorisée. Le marié était gêné et je me demandais si la présence d’un ami alcoolique ou d’un oncle colérique était nécessaire à un mariage réussi.