Comme au cinéma

Des garde-côtes grecs s’occupent des corps de migrants morts dans le naufrage, au port de Kalamata, en Grèce, jeudi 15 juin 2023 – © Yannis Kolesidis


Il y a deux semaines, quatre gamins affamés étaient extirpés de la forêt amazonienne après un accident d’avion et quarante jours d’errance IndianaJonesque. On se croirait au cinéma ; on est en Colombie, dans les terres indigènes. Pratiquement seule au monde dans un terrain de jeux des plus hostiles – scorpions, jaguars, serpents, araignées –, après la mort des deux adultes maintenant inutiles, l’ainée, royalement âgée de treize ans, décide de quitter la carcasse – peut-être l’arrivée des rapaces était-elle prévisible – et, armée de couches et de farine de manioc, ses trois frère et soeurs sous le bras, elle s’enfonce dans la jungle. Malgré leur jeune âge, les mômes ne seront ni blessés, ni attaqués par la faune vénéneuse, ni empoisonnés par l’eau qu’ils ne boiront pas. Fort de leurs connaissances indiennes, portés par leur foi en Mère Nature et les prières des communautés indigènes, ils survivront quarante jours dans un environnement où je n’aurais pas tenu plus de vingt-quatre heures – et cet imbécile en Gazelle et polo Fred Perry et tous ces amis non plus. Est-ce ce lien avec Mère Nature qui les a portés, ce lien que nous avons coupé ?

Car l’envahissante imbécilité toujours revient, et alors que les médias du monde entier s’émeuvent de ce miracle (et que les familles se déchirent la garde des quatre enfants maintenant orphelins de leur maman), en voilà d’autres qui n’auront pas eu cette chance, survivre. Il faut dire que Mère Nature ne les a pas gâtés, c’est même plutôt le contraire ; a-t-on le droit de dire qu’ils l’ont bien cherché, ce lien coupé avec la mère nourricière, quand l’ancien employé et la communauté scientifique s’unissent pour condamner une expédition sous-marine suicidaire mais qu’ils décident d’y aller quand même et de payer le prix d’un studio parisien pour quelques heures à près de 4 000 mètres sous les mers, une profondeur d’une dangerosité extraordinaire pour l’homme ordinaire – peut-être se croyaient-ils au-dessus du simple mortel du simple fait de leurs milliards virtuels ? On se croirait dans Titanic. Et justement, c’est bien de ça qu’il s’agit, le petit périple d’une boite de conserve non-homologuée pour observer l’épave de la plus grande catastrophe maritime, elle aussi en son temps annoncée et prévisible. Quand on pense à ces zigotos qui ont dépensé un million d’euros pour dire, j’y étais, et les moyens déployés pour les sauver alors que dès le dimanche, il était entendu qu’ils y étaient passés, mais non, les avions, les robots, les sous-marins et les sonars – j’aimerais connaître le coût respectif dépensé pour le sauvetage des quatre enfants et des milliardaires. Et pendant que les autorités déboutonnaient leurs pantalons – c’est moi qui aie les moyens les plus gros et les techniques les plus avancées –, la Méditerranée digérait ses morts, 570 d’un coup, pas facile à faire passer, près de 600 migrants qui se décomposent en ce moment même dans le bassin où vous vous baignerez cet été. Vous pourrez barboter dans un cimetière tout juste fourni en chair fraiche, et vous aussi vous pourrez dire, j’y étais. Et pourtant, si seulement un pour cent des moyens dépensés pour ne pas sauver les voyeurs submaritimes leur avait été consacré – combien de Pakis pour un chercheur français ?

Alors je cherche la bonne nouvelle, celle qui me fera perdre ce sentiment macabre de marcher sur la tête, j’en ai besoin pour me consoler de la bétise du monde. Et je tombe là-dessus, la cigogne est sauvée, la cigogne qui avait été repérée le bec coincé dans une canette de Coca a été retrouvée. Comme dans une comédie à voir en famille ; l’institutrice et ses élèves en sortie scolaire qui appellent les pompiers, la belle photo du sapeur qui porte dans ses bras l’oiseau. J’ai envie de pleurer de bonheur et la joie me remplit, jusqu’à ce que je lise, un peu plus loin, qu’elle n’a pas survécu à ses huit jours de diète forcée, la bête est morte au centre animalier. Je suis partagée entre le rire et les larmes. Vas-tu pleurer pour une cigogne ? Mon Dieu, qu’elle est lourde, cette cigogne !



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