Osaka – © Aurelia Gantier
Je tournais, me retournais, roulais d’un bord à l’autre, sautillais sur place. Les minutes puis les heures ; impossible de m’endormir. L’agacement avait fait son lit de mon esprit, et avec la nervosité qui me tenaillait le ventre, les positions étaient intenables même les yeux fermés. J’essayais de contrôler mes pensées sans succès. Elles dégoulinaient en un feu d’artifice écœurant et coloré. Ici c’était un film, là un livre ; je ressassais une contrariété, une autre la remplaçait. J’essayais de trouver quelques pensées agréables et douces, mais la pop anglaise prenait le relais. D’où venait cette musique ? L’esprit sans repos et le corps bouillonnant, je redoutais l’insomnie et me préparais à vivre une nuit infernale, où entre le coucher et le lever jamais la conscience ne s’endort. Il fallait réagir, et dans le cas présent, réagir était ne rien faire, ne rien penser, se détendre, s’apaiser, ralentir le rythme et laisser passer le vent.
Je savais bien comment faire. Les troubles du sommeil m’étaient coutumiers ; j’avais mes techniques. Seulement j’avais attendu trop longtemps et je savais qu’une fois la nervosité logée dans l’estomac, la tâche devenait difficile. Il fallait tout de même essayer.
Allongée sur le dos, les yeux clos, j’appelais à la rescousse un paysage qui m’avait comblée par le passé, un paysage dont la beauté m’avait remplie et avec lequel j’étais entrée en communion ; comme un coucher de soleil, à Naples sur le Castel dell’Ovo ou dans cette île des Cyclades – je m’étais assise par terre sur le port et j’avais regardé le ciel, par la suite j’avais rencontré un Grec et bu un Ouzo fortement dosé qui m’avait assommée. Il y avait aussi cette plage que je m’étais inventée alors que je lisais Bonjour tristesse dans une période de grand trouble liée à la mort de ma mère ; elle m’avait pas mal réussi en son temps. J’étais allongée sur le sable, devant moi la mer scintillait, un bateau passait, ils étaient jeunes et beaux et me saluaient, je les saluais en retour.
Oui, je savais bien comment faire. Mais voilà : rien ne venait. J’avais appelé toutes les mers et toutes les montagnes, tous les champs de blé ; j’avais même essayé le ciel parisien du haut de ma fenêtre le matin. Rien n’y faisait. Je n’arrivais pas à me concentrer. J’allais abandonner, résignée à être infestée de pensées parasites et ne jamais dormir, lorsque, alors que je me tournais sur le coté, la nuit poudreuse d’Osaka m’est apparue. Ce n’était pas les paysages chatoyants que je cherchais ni même le Japon culturel, ses temples posés comme des perles dans des parcs de pierre et le temps suspendu, l’image ne véhiculait ni calme ni délicatesse, mais des visions de béton coulant sur l’asphalte et de néons peinturlurant le canal. Osaka, cette ville dédaignée des circuits touristiques me revenait en plein cœur, avec sa vie nocturne qui m’avait enthousiasmée ; la foule trépidante et la jeunesse communicative, les bars de rue, les concours de danse sur les quais, l’Okonomiyaki. Non, la vision n’était ni calme ni apaisante, je plongeais dans la nuit japonaise et je partais, et je sentais que je partais, et ce n’était pas la nature mais le grand n’importe quoi des nuits urbaines, et ça m’allait. Et finalement je me suis endormie, comme ça, dans les bruits de pachinko et les odeurs de shoyu.