Autoportrait, Musée Réattu, Arles, juillet 2023 – © Aurelia Gantier
J’ai poussé la porte.
Je flânais à travers les salles du musée, moins à la recherche des portraits que j’étais pourtant venue chercher que du plaisir de ressusciter les fastes du Grand Prieuré, quand je l’ai remarquée. Tout au bout d’une succession de salons, une porte blanche, simple et discrète, a attiré mon attention. Moins la porte en réalité, sans attrait particulier et bien loin des ornements auxquels le lieu nous avait habitués, que la vignette qui la désignait : chambre d’écoute. Qu’est-ce qu’une chambre d’écoute ? Et j’ai poussé la porte.
Devant moi, une famille tout aussi intriguée était entrée ; le père, la mère, l’adolescente boudeuse. Intérieurement, j’ai râlé : j’aurais voulu être seule pour l’exploration. Mais tout de même, j’ai poussé la porte.
À l’intérieur, quatre murs blancs, un banc en son milieu, blanc également, devant le programme sonore de l’été, quelques lignes noires sur un panneau blanc : des fictions radiophoniques. Ça tombe bien, je suis une grande amatrice de fictions radiophoniques.
Je me suis installée entre la mère et la fille. Une jeune femme à la voix suave et hypnotique racontait les piétinements d’une foule. J’ai fermé les yeux. La mère et la fille se sont levées, je les ai entendues patauger jusqu’à la sortie, la porte s’est refermée. Enfin seule, enfin tranquille. J’ai gardé les yeux fermés pour mieux écouter. Je me suis concentrée sur le rythme ; une phrase en deux temps, comme un battement. J’ai entendu la chaleur et l’absence de vent, l’arrêt des ventilateurs ; j’ai ressenti la solidification de l’air, la respiration qui manque, j’ai marché jusqu’au port, je me suis installée en terrasse avec elle et le monde entier ; des gamins taguaient les conteneurs, des dessins et des affirmations, comme cette phrase toute simple, sujet verbe, même pas de complément, votre horizon a disparu, le choc que ça a fait, le choc que ça fait. Les brigadiers qui débarquent, la foule qui charge, avec elle je m’enfuis ; les bousculades, les bousculades et les cris, je trébuche, et je tombe sur l’asphalte jaune, jaune l’asphalte ; les bousculades et les cris, et je coule dans l’asphalte ; j’ai les yeux fermés et la voix m’emporte, je coule, elle coule, nous coulons, ensemble, comme dans un puit, je me balance, d’avant en arrière, je me balance au rythme de la voix, une phrase, deux temps, ma respiration synchronisée, haletante et synchronisée, à la recherche de, je coule, totalement immergée, la ventilation. Temps suspendu. Silence. La ventilation. Les brigadiers nous cueillent dans la rue déserte. Temps suspendu. Silence. La ventilation. Et le retour du vent. Fin de la bande.
Whouw ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
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