Passage Thiéré, 2017 – © Aurelia Gantier
Carrie Bradshaw shootait un beau gosse à chaque croisement de rue. Cela ne se passe qu’à New York : j’ai essayé par ici et rien n’est arrivé.
Depuis près de deux mois, ma vie, comme celle de millions d’autres confinés, est abrutissante de platitude. Réglées comme du papier à musique et parfaitement interchangeables, mes journées auraient pu se résumer à une seule sans que rien ne vienne à manquer. Alors ce matin, forte de l’expérience de l’Américaine, j’ai décidé de me lancer.
Il parait que les affirmations positives font des miracles, et j’ai procédé à des incantations toute la matinée : « Aujourd’hui, je rencontre l’aventure au bout de la rue ». Je me suis coiffée – ce qui n’arrive jamais, maquillée – drôle de rituel de mariage également peu pratiqué de mon côté, habillée, et après avoir attrapé deux sacs poubelle – il est terrible d’être sans cesse rattrapée par les trivialités, je suis sortie affronter la jungle urbaine.
J’avais étudié le circuit pour croiser un maximum d’aventuriers en moins d’une heure et à moins d’un kilomètre de chez moi : rue de Lappe, place des Vosges, Sully-Morland, le port de l’Arsenal, place de la Bastille, puis la rue de Charenton que l’on remonte jusqu’à la rue d’Aligre. En gros, la promenade habituelle, celle que j’écume depuis deux mois. Cela me désolait de devoir me l’avouer, mais il y avait peu de chances de rencontrer des tigres sur le trajet.
Je ne trouvais pas le masque très seyant, je l’ai rangé. J’ai laissé les écouteurs sur le plan de travail – désolation – et j’ai saisi mes poubelles. Prête pour l’aventure ! Dans la cour, j’ai respiré l’air sucré du printemps. Mon voisin à l’écharpe rouge promenait son chiwawa ; même veste, même écharpe, même clébard que la veille. J’ai saisi mon attestation de privation de liberté et j’ai poussé la grille.
Une heure et quatre kilomètres plus tard, j’étais épuisée. Mon chat m’a accueillie à la porte : « Alors ? » Je suis allée me coucher.