© Alice Gantier
J’attendais sagement pour m’acheter des cigarettes. Le client devant moi avait reçu son paquet. Maintenant il payait, c’est-à-dire qu’il avait vidé le contenu de son porte-monnaie sur le comptoir, un petit monticule de pièces jaunes, et qu’il les repoussait sur le côté, l’une après l’autre.
Personnellement, je n’aurais jamais osé. Le buraliste faisait près de deux mètres et avait une mine patibulaire. Je me demandais quand le petit client allait se faire avaler par le méchant commerçant, mais celui-ci ne semblait en rien troubler. L’homme triait ses pièces en toute tranquillité.
Je commençais à m’impatienter, et je ne parle même pas du buraliste ; il avait posé ses mains larges comme des raquettes sur le comptoir, ses yeux jetaient des éclairs, ses narines fumaient.
Le client arriva au bout de son compte. Il leva la tête : « Je n’ai pas assez. » Il remit ses pièces dans le porte-monnaie et sortit un billet.
Le buraliste ne prit pas le billet tout de suite. Il fixait le client de ses yeux rouges vifs tout en ouvrant le tiroir-caisse. D’un coup, il se transforma en l’homme qui valait trois milliards, et en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, il avait fait l’appoint en pièces jaunes. Il attrapa le billet et poussa la monnaie vers le client, hagard. « C’est de bonne guerre, dit-il. Allez ! Circulez ! Au suivant ! «
Un de ses collègues triait des paquets de cigarettes derrière lui. Il lui tendit un paquet en lui disant : « Il n’a pas l’air très catholique ce paquet. – Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? », répondit tendrement le caissier en me fixant du regard.
Je souris.