Il y a quelques semaines, alors que les journées raccourcissaient et qu’aucune perspective ne venait éclairer ce samedi d’automne, n’ayant rien de mieux à faire, nous avons atterri au Lucernaire. Le choix de la pièce s’était fait en moins de cinq minutes, debout, téléphone à la main.
La vie est une géniale improvisation met en scène la correspondance de Vladimir Jankélévitch et Louis Beauduc, de leur rencontre à Normal Sup en 1923 jusqu’à la mort du second en 1980. J’ai passé un bon moment. Que les deux hommes aient été philosophes m’importe moins qu’une amitié qui a traversé la plupart des événements fondateurs du vingtième siècle. Loin de l’échange philosophique poussiéreux et abscons, leurs lettres sont spontanées et vives, intelligentes bien sûr, remplies de questionnements et d’ambitions certainement, elles n’en sont pas moins chargées d’autodérision, d’humour et de tendresse. J’ai été émue par cette correspondance qui matérialise soixante ans d’une amitié indéfectible. Pendant soixante ans, ces deux hommes se sont assis à leur bureau, ils ont sorti leur papier à lettres, débouché leur stylo-plume, et soixante ans durant, ils ont consacré une partie de leur temps si précieux à réduire la distance entre Paris et Limoges.
Immanquablement, j’ai pensé à nous, à nos ordinateurs, nos téléphones, aux réseaux sociaux et aux applications, et je me suis dit : « Quand as-tu écrit une lettre pour la dernière fois ? Te souviens-tu du nom de son destinataire ? À quel point ton mode de communication a-t-il changé depuis que tu envoies des mails ? Est-ce que tu te souviens que tu débutais par « cher/chère » et que tu finissais par « je t’embrasse » ? »
Que restera-t-il de nos amitiés ? Des textos ?