La création, c’était mieux avant I

Collage d'Aurelia Gantier autour de La Cène de Léonard de Vinci

La Cène culturelle / Collage, juin 2025 – © Aurelia Gantier


FOSSÉ GÉNÉRATIONNEL

Mot-pivot : connaissance


Les jeunes gens aujourd’hui se gavent de mots, mais ne digèrent aucune pensée.
Sénèque, Lettre 108, Lettres à Lucilius (1er siècle après J.C.)

Je crains que nos jeunes, en se détournant de l’étude, se perdent dans le spectacle et l’oisiveté.
Pline le jeune, Lettres, Livre II (1er siècle après J.C.)

Notre génération est pire que celle de nos pères et nos enfants seront pires que nous.
Horace, Épîtres (1er siècle avant J.C.)

Ô temps, ô mœurs !
Cicéron, In Catilinam, I, 1 (1er siècle avant J.C.)



De deux choses l’une : ou la figure du vieux con n’a pas évolué depuis l’Antiquité, ou nous nous sommes progressivement transformés en une population de dégénérés consanguins. Mon ami T. pencherait probablement pour la première solution, mon père pour la seconde. Confrontation.


– La création, c’était mieux avant : la jeunesse ne connaît rien à ce que l’on connaît. Elle ne connaît ni Bacri ni les films de Visconti ni les chansons de Cat Stevens ni les peinture de Gustave Moreau.
– Elle n’était pas née.
– Moi non plus (à l’époque de Bacri, si).
– Il ne rentre pas dans la catégorie des vieux cons, Bacri ? Et puis, qui connaît Gustave Moreau aujourd’hui ? Les jeunes s’intéressent à des artistes plus contemporains. Basquiat, ça leur parle, j’imagine que cela leur parle. Plus qu’un type qui peint des sphinx et des sirènes, c’est certain.
– Tu n’en es même pas sûr.
– Et alors ? Les hommes de ta famille ne connaissent ni Corneille ni Racine. Pourtant, à l’heure qu’il est, ce sont probablement des vieux cons. Et puis, la jeunesse connaît ce que tu ne connais pas.
– Quoi par exemple ?
– Toutes les cultures urbaines comme le street art, le graffiti, le rap et le hip hop, le tatouage et même la musique, la photographie, la danse, la performance…
– Tu plaisantes ?
– Non je ne plaisante pas. Imagine le tatouage comme une tapisserie humaine.
– Les tapisseries sont plus belles.
– Parce que seules les belles ont passé le temps. Dans cent ou deux cents ans aussi, seuls les beaux tatouages, les belles chansons, les belles chorégraphies seront encore visibles. Pour toi, l’éducation est un passage obligé, mais la création n’a pas besoin d’être éduquée pour exister, prends Basquiat.
– Tu m’emmerdes avec Basquiat.
– Je suis persuadé que Frida Kahlo n’avait aucune forme d’éducation artistique traditionnelle.
– Ça, ça ne m’étonne pas.
– Ça ne va pas te plaire, mais il me semble que ma génération est plus créative que la tienne. Peut-être qu’elle passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux mais elle crée : podcasts, vidéos, photos, chansons même.
– Rien à en tirer, c’est franchement mauvais. Pas de fond, pas de tripes, rien.
– On s’en fout, cela reste de la réalisation, un accomplissement de l’être.
– Tu ne vas pas me dire que tu aimes ça ?
– Si, j’aime ça. Je suis de ma génération, de mon temps. Être D.A. dans la pub et travailler avec l’I.A. ne m’empêchent pas de collaborer, bien au contraire. Je ne connais pas ce que tu connais, je ne connais rien à la culture des livres, mais je connais ce que tu ne connais pas, les nouvelles tendances, les nouvelles technologies. Les romans m’ennuient, la poésie aussi, mais j’aime le slam, les documentaires et la photographie. Chacun son truc, mec. Toi, tu vis dans un parchemin. Tu sais ce que c’est, ton problème ? Tu es coincé entre le présent auquel tu piges que dalle et la nostalgie de ta jeunesse idéalisée, une période où tu emmerdais ton monde avec mai 1968 et les vieux cons de tes parents qui rabâchaient, tout fout le camp, c’était mieux avant !
– Arrête ! Même l’origine du prénom Aurélia, ils ne la connaissent pas.
– Pourquoi, c’est qui, Aurélia ?


accepter d’être vieux sans être con – le changement comme constante – ne pas avoir peur d’être jeune et exigeant – le passé simple et le passé du subjonctif (ouch !) – reconnaître la montée de l’individualisme et l’accélération de la temporalité comme dangers -imaginer une éducation à la fois dépoussiérée et pointue – et une curiosité sans paresse – dialogue intergénérationnel – complémentarité de l’expérience et de l’imagination – bienveillance et compréhension – entre les générations, les strates sociales et les communautés – une passerelle entre passé et avenir – une transmission sans reproduction mais dialogue – l’art brut chez Picasso – Chopin chez Gainsbourg – Shakespeare dans Jay-Z etc.



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