Homophobia

Paris, 1979 – © Marc Gantier


Hier, un énergumène a ouvert le feu dans un club gay d’Orlando, faisant une cinquantaine de morts et autant de blessés. Alors aujourd’hui, bien sûr, on a parlé que de ça. En réalité, les médias ont aussi parlé de l’Euro 2016 et de la météo, mais comme je ne suis pas une grande amatrice de football et puisqu’on a déjà parlé du temps qu’il fait, le seul sujet qui m’ait importé aujourd’hui était celui-là.

Je n’ai jamais compris les homophobes. Je n’ai jamais compris cette passion qu’ils mettent à fouiller dans la culotte des autres, des gens qu’ils ne connaissent pas, comme si la sexualité des homosexuels pouvait les concerner d’une quelconque manière.

À mon sens, les manifestations de haine doivent s’analyser non pas en fonction de la personne visée mais de la personne sujette à un tel débordement. Il me semble que ce sentiment parle davantage de la personne qui hait que de celle qui est haïe. Dit autrement, la question serait : « C’est quoi ton problème ? »

Les spécialistes expliquent généralement l’homophobie par un mécanisme de défense psychologique pour protéger sa virilité et éviter de reconnaître sa part féminine. J’emploie le masculin à dessein, ces mêmes spécialistes expliquant que l’homophobie serait un comportement plus masculin que féminin. Pour les homophobes, une femme est féminine, s’habille comme une femme et doit se comporter comme telle, ce qui signifie dans leur langage être douce, obéissance, discrète, maternelle et j’en passe. Un homme au contraire devrait agir en tout point comme les standards de virilité l’exigent : fort, musclé, bricoleur, courageux, protecteur… Vous comprenez le concept. Lorsqu’un homosexuel lui fait prendre conscience de ses propres caractéristiques féminines, l’homophobe mettrait en place une stratégie de protection englobant mépris, haine et rejet.

Je devais avoir 4 ou 5 ans la première fois où je suis entrée dans une boite de travestis. Mon père, photographe, y avait rendez-vous un soir. L’homme était asiatique. Je me souviens plus tard avoir vu quelques photos de lui ; c’était une très belle femme. Je suis restée dans les loges à regarder les hommes se vêtir et se maquiller. Mes souvenirs sont un peu confus, mais je me souviens avoir posé la question à mon père : « Pourquoi ils font ça ? – Parce qu’ils aiment ça. » Il n’y avait rien à ajouter et j’ai coché la case : « Certains hommes aiment se déguiser en femme, comme moi en princesse, et c’est bien comme ça. »

La même explication m’avait été donnée pour m’expliquer l’homosexualité de P., le meilleur ami de mon père. P. aimait les garçons, et ça aussi, c’était bien comme ça. Je me demande aujourd’hui pourquoi je connaissais la sexualité de P. si jeune. Je n’en ai aucune idée. J’imagine que j’ai dû poser des questions et que mes parents m’ont répondu, ils me répondaient toujours : et pourquoi il n’est pas marié, et pourquoi il n’a pas d’enfants ? Le tralala habituel. Il y avait aussi deux amies qui vivaient ensemble ; elles aussi s’aimaient et ça aussi c’était bien comme ça.

Je ne me suis jamais posée de questions sur la sexualité avant de découvrir la mienne. À l’époque, aimer signifiait littéralement aimer. Toutes ces personnes s’aimaient, comme mon petit camarade et moi nous nous aimions à la maternelle. Nous nous cachions sous la table, nous nous asseyions l’un contre l’autre et nous nous tenions par la main. Il s’appelait Sébastien, il me ressemblait, avec ses yeux verts, ses cheveux noirs et sa peau claire (lorsque je me suis coupée les cheveux, il est venu escorter de deux de ses camarades me dire qu’il ne m’aimait plus). Avant d’avoir quinze ans je ne savais pas ce qu’était le sexe mais je savais ce qu’était l’amour. Tous ces gens-là s’aimaient et c’était bien comme ça.

Plus tard, j’ai appris que tout n’était pas si simple, mais j’avais retenu la leçon de mon père dans la boite de travestis. Parce que cela leur fait plaisir, parce qu’ils aiment ça, parce que c’est bien comme ça. Aujourd’hui, je vois les enfants de mes amis qui grandissent à Paris et fréquentent les amis gays de leur parents. On leur explique qu’untel va épouser son ami et les gamins sont contents ; en fait cela ne leur fait ni chaud ni froid. Et c’est très bien comme ça.

 


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