Scotchée sur le canapé, enrageant de ne pouvoir danser, je battais le rythme des deux mains et de ma jambe valide, mon fessier chauffant l’assise. Le chanteur enflammait la salle sur un air de country, l’harmonica avait rejoint la guitare, les chœurs rayonnants ; nous étions en plein voyage au fin fond de l’Ouest américain. C’était samedi soir. Qu’ils soient professionnels ou amateurs, beaucoup des invités étaient musiciens et se relayaient autour du micro. La scène, avec son piano à queue et toute la sonorisation nécessaire, occupait un bon quart de la pièce à vivre, tout en hauteur et en verrière, rideau d’étincelles et lumière tamisée, un endroit magique que sa propriétaire avait très joliment baptisé le Loft d’Oz. Je passais une délicieuse soirée ; mais la cheville tout juste libérée de son carcan de résine me faisait souffrir, et telle une Cendrillon, je me suis éclipsée peu avant minuit. Le lendemain matin, je me suis réveillée d’excellente humeur. J’avais passé une bonne soirée et j’étais impatiente de renouveler l’expérience, cette fois-ci sur mes deux pieds et jusqu’au petit matin.
Le souvenir de cette soirée m’en rappela une autre. Un an auparavant, j’avais accompagné une amie à un concert dans une galerie d’art graphique. La chanteuse avait un trésor dans la voix et nous avait éblouis le temps d’une poignée de chansons. Plus tard, alors que nous partagions un verre de vin, elle nous proposa de les rejoindre dans un appartement non loin de la galerie, équipé comme il se doit d’instruments de musique. Et c’est ainsi que je me suis retrouvée dans une soirée que je baptisai meilleure soirée 2016. Ni salle à manger ni salon, le premier étage du duplex ressemblait au Loft d’Oz, avec ses canapés, sa grande table rectangulaire, la cuisine ouverte et une bonne partie de l’espace disponible réservé à l’orchestre. L’appartement logeait une chanteuse cubaine, une batterie, plusieurs guitares et toutes sortes de percussions. Nous étions en plein Paris et toute la nuit, les Cubains s’étaient relayés pour nous faire danser. Et cette autre fois encore, des années auparavant, mon voisin était guitariste de métier ; lors d’une de ses soirées, ses amis avaient sorti leurs dernières créations pour me les faire tester : ils avaient sous la main une non-musicienne, cela ne leur arrivait pas tous les jours, c’était une opportunité à ne pas manquer.
Toutes ces soirées dont je me souviens, parmi toutes ces soirées dont je ne me souviens pas et qui m’ennuient, une seule et même chose les réunit et les sauve : la musique. Comme beaucoup d’enfants j’ai pris des leçons de piano, et comme beaucoup d’adolescents blasés, j’ai arrêté. Bien sûr je le regrette, mais j’ai tout oublié. Il faudrait reprendre, de même que des cours de danse Et toi, sais-tu chanter ? Et toi, jouer de la guitare ? Ne pourrions-nous pas jouer de la musique et danser ce soir, et éviter ce bar où l’on ne fait que boire et s’ennuyer ?