Apesanteur

Concert d'improvisation au Chair de Poule à Paris 11

Chair de Poule, Paris 11, avril 2024 – © Aurelia Gantier


Oberkampf, Jean-Pierre Timbaud. Je remonte la rue Saint-Maur et les souvenirs. Toujours beaucoup de bars et de restaurants. Si les enseignes changent, le divertissement reste l’ADN du quartier. En revanche, je ne connaissais pas le Chair de Poule. Paul Collins y joue ce soir de la musique improvisée. Je le croise fréquemment au Café du Passage alors ce soir je change de crémerie et de quartier : je lui ai promis de passer.

Je passe devant le rade en coin de rue. Quelques tables en terrasse, beaucoup de monde, tous les âges et les sexes sont représentés ; le noir est le thème de la soirée. Lorsqu’il m’a parlé d’improvisation musicale, j’ai immédiatement pensé jazz. Je me suis visiblement trompée.

Je pousse la porte, encore plus de monde à l’intérieur, je tente de me frayer un passage jusqu’au bar, un type gueule, c’est reparti. Quatre euros le verre de vin nature, ça change, je devrais sortir par ici plus souvent. Le type continue de gueuler, ça recommence. Ça va commencer.

Un clavier miniature, deux consoles, un téléphone, une trompette. Deux hommes, deux femmes et un homme qui gueule. J’imaginais assister à un concert traditionnel, de 19 à 21 heures, de jazz donc, et bien sûr, je n’avais rien compris. Normal : je ne connaissais ni l’improvisation ni le Chair de Poule. Dans le milieu de la musique contemporaine, les sessions Broken Impro dudit bar sont reconnues et recherchées. Autrement dit, si musicien tu n’y as pas participé, tu as raté ta vie.

Les musiciens s’y inscrivent sur liste, 3 ou 4 y par set de dix minutes. On y va avec son instrument, trompette, guitare, voix, téléphone, clavier, console, et pendant dix minutes, on joue avec des types que l’on connaît, ou pas. Paul en connaît quelques-uns : il y va régulièrement. Pendant la pause, je lui ai raconté mon erreur :
– Je ne connais rien à la musique contemporaine, alors quand tu m’as parlé d’improvisation, j’ai pensé à du jazz.
– Et tu as raison, m’a-t-il expliqué. L’improvisation vient du free jazz, poussé un peu plus loin, c’est tout [pour ceux qui n’y connaissent vraiment rien, entre le jazz et le free jazz, il y a autant de différences qu’entre Bach et Debussy]. Pour 90% des gens, ce qu’on joue, ce n’est pas de la musique.
– Oui mais toi, tu es musicien ?
– Je joue tous les jours depuis l’âge de 5 ans.

Et c’est reparti pour dix minutes, gueule le type dans son coin.

Un son. Non. Pas un son. Un grincement. Long. Des grincements. Mais différents. Des gémissements. Je cherche l’harmonie. Pas d’harmonie. Aucune tentative d’harmonie. Des sons, des grincements, des gémissements, des bruits (?) qui se répondent. L’expérience est troublante, pas vraiment agréable, mon ouïe est agressée. Vais-je tenir dix minutes ? Une femme, ou plutôt, la console de la femme, semble prendre la direction du groupe, les musiciens construisent autour du.. des… réflechis… du… thème (?) qu’elle propose. Les bruitages structurent un ensemble sonore, que je ne qualifierais pas de musique, du moins à ce stade. Paul danse. Vraiment. Il danse. Cela me semble incroyable. Il sent un rythme que je ne ressens pas. Finalement, l’ensemble n’est pas agréable mais pas désagréable non plus, mon cerveau, mon ouïe, mon système sanguin et lymphatique, tout mon corps semble s’être familiarisé à cette transe, cette musique hypnotique, tu te souviens des séances d’hypnose, cinq six, pas plus, comme elles t’avaient transformée, tiens une trompette, c’est sympa la trompette, c’est bien aussi un vrai instrument de temps en temps, la transe, l’hypnose, la méditation, tout ça parle de la même chose, le mental qui lâche, c’est ça, c’est, et c’est terminé, dix minutes, il faut savoir terminer.

Quoi, c’est fini ? Déjà fini ? On a fait dix minutes ? Franchement, je ne pensais pas, j’aurais pu continuer. C’est dingue cette histoire. Déjà dix minutes. C’est pas mal finalement. Il faut s’y habituer mais finalement, c’est assez prenant.

Plus tard, Paul en a rajouté. « Tu sais Aurelia, cette musique non seulement on la joue mais on l’écoute chez nous. » Et je comprenais. Plus les sets passaient, plus je planais. Je pensais à l’incroyable bande originale de Requiem for a Dream, eh bien tu sais quoi, c’était pareil, différent mais pareil.

« T’as gouté les cocktails ? »




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