Square Trousseau, 2020 – © Aurelia Gantier
Le vieillard déambulait entre les tables, deux croûtes dans les bras : « Huit euros le tableau ! » Sur cette terrasse chic et tranquille, il détonait. « Huit euros le tableau. C’est la Savoie. C’est beau, la Savoie. » Le serveur nettoyait les tables, concentré à ne rien voir ni ne rien entendre. Le peintre, personnalité du quartier disposant de toutes les indulgences, dérangeait.
« Huit euros. Personne n’a huit euros ? Allez, soyez chic ! »
Terrible formule qui implique nécessairement que ne pas acheter la croute immonde ne le serait pas. L’homme ne vendait pas ses toiles : il faisait l’aumône. « Personne n’a huit euros ? Allez, soyez chic ! » Je me demandais si lui tendre deux euros sans contrepartie aurait été considéré comme chic ou insultant.
Il se trouve qu’à ce moment précis, les gémissements du vieillard me dérangeaient. Peut-être n’avait-il pas tort : ce n’était pas très chic de ma part. J’aurais pu acheter la toile – j’aurais rendu service à toute la terrasse – et la jeter, antithèse du chic, il fallait l’accrocher. Dans les toilettes ? Hors de question, même dans les toilettes. Alors elle aurait encombré l’armoire. Décidemment, je n’en voulais pas. Mais ce « soyez chic », alors ? Que faire de cette toile si je l’achetais ? Est-ce que je pouvais la laisser traîner dans la rue en espérant qu’un badaud la prenne ? Et si son auteur se décidait à se promener dans le quartier et la voyait abandonnée ? Et si tout simplement je ne l’achetais pas ? Il m’ennuie à la fin. Chic, est-ce que je ne lui suis pas ?