J’ouvre la fenêtre, je m’allume une cigarette. Le froid me mord le visage et les mains.
Le ciel a disparu derrière un voile mousseux de brume ; l’image surexposée d’un Paris délavé, aux couleurs passées. Quels que soient le jour et l’heure, le murmure incessant de la circulation bourdonne jusqu’à mon perchoir – « jamais tranquille ! » – mais pas aujourd’hui. Chose invraisemblable, la ville est silencieuse. Paris ville fantôme. Seuls les corbeaux tournoient dans le ciel. Ma mauvaise vue ne me permet pas de voir autre chose que d’impressionnantes tâches noires mais je reconnais leurs cris. Ils sont plus nombreux que d’habitude. Leurs acrobaties dans le jour pâle me font penser au film Les oiseaux d’Hitchcock. La ville s’est effacée, restent les corbeaux. Quels croassements lugubres ! Le ciel transparent, la ville muette, la voltige des oiseaux, comme si une inquiétude planait sur la ville, comme s’il se passait quelque chose. Plutôt rationnelle, je ne suis habituellement pas sujette à ce genre d’expérience métaphysique mais j’en suis persuadée : il se passe quelque chose.
Je me retourne. Derrière moi la musique s’est arrêtée, je ne lui avais rien demandé. Je regarde le téléphone posé sur son enceinte. Je pense à mon sujet de préoccupation actuel et je regarde le téléphone. Des nouvelles seraient-elles arrivées ? Seraient-elles mauvaises ? Je rentre.
J’ai un message mais le téléphone n’a pas sonné. La personne par qui les nouvelles arrivent ; je note sa voix claire et dynamique. Je la rappelle, pas très rassurée quand même.
Les nouvelles sont bonnes, étonnamment bonnes. J’avais raison, il se passait quelque chose, je m’étais juste trompée sur le sens du pressentiment. J’ai mal interprété l’apparition des oiseaux dans le ciel blanc. C’est normal, c’est ma première intuition. À l’avenir, il faudrait apprendre à traduire le cri des corbeaux, et faire confiance en l’hiver.
commentaires
Ce n’étaient pas des corbeaux, c’étaient des mouettes !