Veille de Noël, Ile Saint-Louis, Paris, 1950 – © Louis Stettner
À quelques jours de Noël – comme tout le monde sait, Noël commence bien avant Noël –, Paris et les Parisiens – en réalité, surtout les Parisiennes – se lancent frénétiquement dans les préparatifs de fin d’année. Le sapin sera décoré, la lettre au Père Noël envoyée, la liste des invités fixée. Seulement pour certaines personnes, c’est plus compliqué. La mort des grands parents avait déjà scellé le sort des grandes tablées et chacun fêtait Noël dans son clan. Avec le temps, personne ne rajeunissant, la gomme mortuaire continue d’effacer des générations de parents et l’on se retrouve célibataire sans enfant, sans parents, sans grands-parents, à faire semblant de fêter, fêter quoi au fait ?
À quel âge accepte-t-on de ne plus fêter Noël ? L’arrêt des festivités scelle-t-il définitivement la plongée dans l’âge mur ? Pendant six semaines et jusqu’au réveillon, tout rappelle aux personnes seules que pour elles, Noël n’aura pas la même saveur. Elles fêteront Noël en solitaire. Noël ou pas, rien ne vient rappeler aux familles la nécessité de se souvenir de ces membres éloignés. Ils sont tout simplement oubliés. Restent les dîners entre amis blasés, qui refusent de rester seuls et refusent de fêter. Religieux, la messe reste une option, un peu déprimante, seul sur son banc mais bon, et puis tout le monde ne croit pas.
De mon côté, avec le temps, j’ai abandonné l’idée de la fête complète et essaye de sauver une des deux options, dîner ou déjeuner. Cette année, ce sera le déjeuner. Tout devrait bien se passer. Encore que. Ça aussi, c’est compliqué. On connaît ses intentions, pas celles de ses convives et l’actualité est peu propice aux excès festifs.
- Du foie gras ? Non mais ça ne va pas, tu as pensé au bien-être animal ?
- Faire huit cadeaux ? Tu n’as vraisemblablement pas de problème avec la société de consommation et le capitalisme, toi. Tu as gagné au Loto, ma parole.
- S’habiller ? Non mais franchement, tu es encore dans cette culture patriarcale ? On est obligé de se peler alors qu’on va traverser Paris sous une poignée de degrés pour un déjeuner entre proches ?
- Les bonnes manières ? Dépassées.
- Le plaisir de faire des cadeaux ? Une dépense inutile.
- Le plaisir de recevoir ? C’est toujours raté.
- Ne pas parler politique ? Mais on va parler de quoi ?
- Ce n’est pas vrai, ne me dis pas que tu as invité untel ?
Alors oui, on va essayer de s’enthousiasmer, de jouir de la fête et des invités, on va essayer de penser aux autres, à la naissance du Christ, c’est-à-dire à la renaissance du monde, au plaisir d’ être ensemble et au partage, mais la magie de Noël, vraiment ?