La tête dans les nuages

Higelin


Déjà Bastille ? Ma dernière prise de conscience était quai des Célestins. J’ai de la chance, le vélo connaît le chemin par cœur.

Je vis pas ma vie, je la rêve
Le soleil fait la grève et moi aussi
C’est comme une maladie
Que j’aurais chopé
Quand j’étais tout p’tit
Et qui va pas m’lâcher
Avant qu’elle m’achève.

La première fois que j’ai entendu ces paroles, c’était lors d’un concert à New York. Toute la communauté française s’était retrouvée à l’Alliance française. Les quelques Américains présents étaient partis avant la fin, choqués. Il faut dire qu’Higelin parle mal anglais et mimait ses paroles, ça a pu être mal interprété. Il a chanté ça, je ne vis pas ma vie, je la rêve, j’ai sorti un bout de papier et un crayon. Qu’est-ce que tu notais, m’a demandé mon amie le lendemain. À ton avis ? Elle a ri.

Je vis la tête dans les nuages, la nuit, le jour, et je dois l’avouer, même accompagnée. Je me raconte des histoires, je ne m’ennuie jamais, je me parle beaucoup. Je déteste qu’on m’interrompe quand je suis avec moi-même. Que mes réflexions soient profondes ou légères, lorsque je suis perdue dans mes pensées, je perds totalement conscience de mon environnement. Un hippopotame traverserait la rue, je ne le remarquerais pas.

Cette faculté à disparaître a inquiété un temps un de mes amis. J’avais acheté un pot de vernis pour restaurer un meuble. J’avais préparé tout le matériel, puis je suis sortie jeter les poubelles. De retour à la maison, le pot avait disparu. Je l’ai cherché partout. C’était comme s’il n’avait jamais existé ; il s’était volatilisé. Je l’avais sûrement jeté avec les ordures. Après avoir écouté mon histoire, mon ami me conseilla, avec un sérieux des plus pénibles, de consulter. Je ne comprenais pas de quoi il parlait.

Il n’y a pas que les pots de peinture que je jette sans m’en rendre compte. Il suffit que quelqu’un tente de percer ma bulle un peu brutalement pour que je sorte mon sabre et transperce l’intrus. Il y a quelques jours, je me suis allongée à l’ombre des platanes jardin du Luxembourg. J’avais l’idée d’un nouveau projet sur lequel je voulais travailler. Peu de choses sont aussi enthousiasmantes qu’un nouveau projet. Une idée pointe le bout de son nez, je l’attrape au vol, l’étire, la malaxe, la développe et peu à peu un début de quelque chose prend forme. L’envie de poursuivre à une terrasse de café ne m’empêchait pas de réfléchir et je continuais à construire mes chimères tout en me dirigeant vers la sortie du parc. Soudain, quelqu’un me sauta dessus. Je sursautai. « Ce qui est bien avec le soleil… » Un homme pérorait devant moi, tout sourire. Je l’ai regardé comme un extraterrestre. « Non mais il est malade ! Il m’a fait peur ! » J’ai continué ma route en tentant de retrouver mon calme. Derrière moi, je l’ai entendu rire : « Bon ben, d’accord ! » J’ai mis un certain temps à réaliser que ce petit homme blond, loin de vouloir m’agresser, voulait m’aborder avec la précipitation maladroite des timides. « Eh bien, ce n’est pas en réagissant ainsi que tu vas rencontrer l’amour au coin de la rue, il va falloir faire un effort ! » Mais j’étais partie trop loin pour redescendre si vite sur terre.

 


commentaires

  1. David Forester

    Vous mettez cette « faculté à disparaître » à profit, il me semble, en ecrivant; j’anticipe toujours le plaisir de lire votre blog. J’aimerais avoir, peut-être de façon plus modérée, votre capacité de vous concentrer sur une chose. Je n’arrive pas à me concentrer en compagnie des autres sans l’aide d’un casque audio. J’ai du mal à rester endormi car je me réveille au moindre bruit. Quand je voudrais avoir aussi la tête dans les nuages, je me trouve encore tombant à terre.

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