Je n’ai jamais rêvé de devenir redresseur de torts. Qui rêve de devenir huissier, inspecteur des finances ou contrôleur SNCF ? En plus, et contrairement au contrôleur, j’ai fait des études pour devenir ce que je suis, une des fonctions les plus décriées par la société – car non, je ne me suis jamais vu comme un sauveur des dépenses publiques ou des impôts des Français ; au départ, je me suis servi de ces arrangements comme justification sociale, puis j’ai menti sur mon profil Tinder. Et l’air de rien, je suis BAC + 5. Je sais, j’ai merdé, je ne sais pas ce qui s’est passé. Bref, je n’ai pas rêvé aux gus qui pleurent ni aux menaces de mort, et je ne reçois ni prime ni majoration de salaire en fonction du montant du redressement. Je fais juste mon métier le plus consciencieusement possible, c’est tout.
La semaine dernière, ma dernière mission s’est brutalement arrêtée : le type s’est suicidé. La famille du défunt m’accuse de harcèlement, ce n’est pas moi qui ai falsifié les comptes pourtant. Mais c’est moi qui prends. Le type s’est pendu dans la grange, un entrepreneur informatique, ou plutôt un futur ancien entrepreneur informatique, car après le montant du redressement que j’allais lui annoncer, il n’allait pas le rester. Son fils l’a trouvé pendouillant dans les airs, la tête bleue et gonflée, une flaque d’eau à ses pieds. Il avait 13 ans. Etais-je allé trop loin, l’homme était-il trop fragile ? Faut-il faire le profil psychologique des contrôlés avant chaque mission ? Cette histoire va-t-elle rester dans mon dossier ? Je ne me sens pas responsable, simplement incompris. Vous souvenez-vous de Monsieur Hire, ce film de Patrice Leconte où Michel Blanc campe un homme détesté de tous ? Monsieur Hire, c’est moi.
Causerie inspirée d’une histoire vraie. Le frère d’un ami s’est pendu à la suite d’un contrôle fiscal. Je savais ce que pensait la famille ; je me suis demandé ce que ressentait le désigné responsable.