Ce qui nous manque

Le Café des Anges rue de la Roquette


Samedi matin, je me suis arrachée au ciel argent qui perlait derrière mes fenêtres pour descendre de mon perchoir et me confronter aux basses réalités matérielles : faire des courses. Dans la rue déserte, non seulement les rideaux de fer étaient tirés sur les magasins dits non-essentiels (on se demande bien pour qui), mais la plupart des commerces alimentaires étaient également fermés. C’était le 1er mai, j’avais complètement oublié.

Place du Père-Chaillet, le marché biologique faisait le plein. J’ai acheté de la tomme de brebis, des crevettes et des courgettes, des fruits, puis je suis rentrée. Dans mes rêves les plus fous, je m’arrêtais prendre un café, debout, masque sur le menton et sourire béat, mais Pause Café, La fée verte… eux aussi étaient fermés. Un petit stand m’attendait devant le Café des Anges. À côté des jus de fruits, les cakes m’ont fait sourire. C’était bien la première fois que je voyais des cakes par ici. La healthy food, ce n’est pas vraiment leur spécialité, plutôt le hamburger et l’apéritif siroté sur la terrasse d’angle les soirs d’été – soupir.

J’ai hésité : à l’extérieur, des vieillards passablement ravagés (vraisemblablement ils ne buvaient pas que du café) s’étaient donné rendez-vous, mais la tentation de l’allongé fut plus forte et je me suis arrêtée. J’ai risqué une tête à l’intérieur. Un garçon aux cheveux longs jusqu’au milieu du dos m’a souri derrière son masque. Le café était bon, enfin il était chaud et c’était agréable, parce qu’autour de moi, la grisaille, l’humidité et la rue désertée donnaient à l’ensemble un air de dimanche d’automne… Un vélo s’est posé à mes côtés. Sur le guidon, des sacs plastiques pendaient ; lui aussi revenait du marché. « C’est bien comme temps, hein ? » Il pleuvait. « J’aime beaucoup la pluie à Paris. »

Le jeune homme était grand et brun, il habitait le quartier. Ce n’est pas systématique par ici, on croise beaucoup de gens de passage – mais bon, un samedi 1er mai, un jour de pluie en plein confinement, on pouvait s’en douter. Depuis la fermeture des cafés et des restaurants, je sors peu. Quand je le fais, c’est pour changer d’appartement. La dernière fois, j’ai pris un vin chaud à l’extérieur du Café du Passage – il y a quelques semaines, c’était encore envisageable. À mes côtés, un habitué et deux jeunes gens en survêtement ; ils travaillaient juste à côté. Nous avons banalement conversé ; pour ce qu’on en attendait, c’était parfait : nous avions envie de voir d’autres têtes et d’entendre d’autres voix, pas de philosopher. Je retrouvais la même soif de l’autre chez le jeune homme à vélo.

J’ai passé un message : j’écrivais dans les cafés, je ne savais pas faire autrement, ma vie était plus compliquée depuis un an. Il m’a passé le sien : lui écrivait plus facilement à la maison, mais les travaux répétitifs, il ne pouvait les faire que dehors, avec la concentration du flux anonyme autour de lui. Les visages inconnus lui manquaient. « Que tu dis » ! On a échangé un moment sur notre ras-le-bol du confinement et notre envie d’autre chose, sur le quartier qui se transformait en cour des Miracles à la nuit tombée. Il a attrapé son vélo : « Tu t’appelles comment ? » Et il est parti.



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