Swann – © Aurelia Gantier, 2022
Terrassée par une litière
Mon ange a disparu
Je fuis le domaine où elle n’est plus.
Ma féline magnifique
Mon âme soeur
Mon amour indéfectible
Mon extension
Ma main
Mon bras
Ma cuisse
Petit être sans fourberie ni hypocrisie
La franchise portée haut
La femme de ma vie.
Swann n’est plus.
Terrassée par une litière, j’avais pourtant pensé à tout et bien tout foutu en l’air. Restait la litière, à côté de la béance d’une boite hygiénique absente – la brosse : disparue ; le coupe-ongles : disparu ; le produit anti-puces : disparu ; les bonbons de même. J’avais tout jeté dans un sac poubelle. Le vide avait repris sa place ; dans la chambre, dans le salon. Aux quatre coins de l’appartement, l’absence de Swann. Fini les petites pattes qui griffent le parquet, les boules de poils, sa fourrure contre ma cuisse, ses yeux amoureux. Plus de son plus d’image, et de grands pans de murs vides.
J’ai capitulé. J’ai fui le champ de bataille et laissé Mort et Absence reprendre possession de l’appartement. Mais alors que j’attrapais un manteau dans le placard de l’entrée, je tombai sur un sac de litière oublié.
Dans le train qui galopait côté Terres de Bourgogne, je listais mes griefs contre Dieu, l’univers, la vie, le Diable, les influences maléfiques, le développement personnel, la psychanalyste, la psychothérapie, la psy-ce-que-vous-voulez, l’hérédité. Mon âme se gavait de nuit. Puis j’arrivai à Tonnerre, esprit des éclairs et coeur de pluie, brume à l’intérieur.
Pourtant il faisait beau. Dans la maison, deux chats, dont la petite Java, si peu farouche, qui jouait avec le ruban de mon carnet et se blottissait contre ma cuisse. Son frère, Atos, plus peureux, bondissait à mon approche. Au premier étage, le salon d’hiver. Nous nous sommes installés devant la cheminée. Champagne, Variations Goldberg et somptueux repas. D’autres amis, d’autres émotions. Nous avons ri, nous avons pleuré, nous nous sommes moqués ; nous avons échangé vécus, pensées et connaissances. Nous nous sommes couchés, imbibés de l’élixir de vie et repus. Le lendemain, visite de la librairie de Tonnerre, livres neufs et d’occasion, Bouvard et Pécuchet, Jean Giono, Que ma joie demeure ; nous avons écouté les aventures d’un négociant en vin au pays des Yakuzas, bu du Chablis, du sirop de gingembre, du café. J’ai plongé mes yeux gonflés dans des peintures, des collages, des photos, des gravures, je me suis bercée d’histoires et fait parler les artistes. Nous nous sommes promenés au pays des hérons et des ânes et déjà, l’heure du retour sonnait. Je reprenais le train direction Paris, prête à réinvestir le vide, prête à reconstruire. Tandis que nous roulions à travers champs, j’écoutais des podcasts sur le sentiment d’injustice et notais les justifications de l’injustifiable. Autour de moi, des paniers à chats. Partout, tout autour, des chats. J’étais cernée. Je les regardais sans pleurer : ce n’était pas Swann. Des images de cauchemar continuaient à jaillir de nulle part. Swann qui tombe, Swann qui souffre, Swann qui gémit. Par expérience, je savais qu’elles s’estomperaient avec le temps et que les bons souvenirs prendraient le pas sur les mauvais.
Où est-elle ? Que fait-elle ? Selon A., elle a rejoint le paradis des chats et le chat de ma jeunesse, Folette. En ce moment, elles parleraient de moi. « Tu ne trouves pas qu’elle bouge trop ? – Il faut qu’elle se détende. »