Explicatif présent

Illustration de la causerie Explicatif présent à lire sur Les causeries d'Aurelia




Samedi soir, S. et moi avons expérimenté les synchronicités. Petite explication à l’attention des novices en spiritualité.

La synchronicité ne se résume pas à une simple coïncidence ; elle est une coïncidence qui prend sens, parce que produite au moment opportun, provoquant par là même une émotion intense. Avant d’être un outil du développement personnel, les synchronicités ont été mises en lumière par les psychanalystes, tout particulièrement Jung. L’exemple le plus connu est celui du scarabée. Jung est en consultation avec une patiente très rationnelle qui lui raconte un rêve dans lequel elle reçoit un scarabée. Au même instant, un scarabée se cogne à la fenêtre. Jung prend l’insecte, le dépose sur la table et la déstabilise émotionnellement. La synchronicité a cassé son mode explicatif pour l’ouvrir à une dimension plus symbolique et poétique de l’existence. Voilà pour l’essentiel, nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage. Je rembobine mon histoire.

Samedi soir, donc, S. et moi avons dirigé nos pas du côté de la Goutte-d’Or, direction l’Afrique gastronomique et créatrice, le Wax sous toutes les coutures et les pas nonchalants. Paris exotique, quartier authentique, la ville dans la ville, le pays dans le pays. Un grand voyage parisien. Bienvenue dans la petite Afrique.

Nous nous rendons au 360, endroit conceptuel comme il n’en existe pas assez dans notre belle capitale, à la fois bar, restaurant et salle de concert, tout à la fois donc, et oh ! combien de fois bien.

Nous commençons le concert debout, en fond de salle. La communauté locale, africaine et chapeautée, se regroupe sur le devant de la terrasse. Des jeunes, des vieux, des bobos, des intellectuels, des musiciens, s’amassent autour de la scène. Le service est assuré par des serveurs souriants et sympathiques. Le groupe, iranien, nous est inconnu, ce qui n’est pas le cas de tout le monde : quelques femmes, habillées comme un samedi soir dans l’Ouest parisien, se mettent à danser. Je suis fascinée. J’aime cet endroit, j’aime le moment que je suis en train de vivre. Je le dis à S. qui acquiesce : il faut absolument faire d’autres concerts de ce genre. Où les trouver ? S. s’imprègne de l’idée : quels concerts pour la rentrée ? Justement, sa voisine lui marche sur les pieds. S. la charrie, le contact est pris. La jeune femme, chanteuse classique, s’intéresse à la musique orientale. Sur le programme du mois de septembre, elle coche les groupes à ne pas rater et nous indique un autre endroit, villettois cette fois, qui devrait nous plaire. Elle nous donne les premières pistes à suivre. Nous demandons, nous recevons. Synchronicité.

En fin de soirée, nous nous asseyons à une table en terrasse. Je lui parle de la maison d‘édition. Ma voisine m’interpelle. J’ai entendu que vous étiez éditrice ? Je lui présente ma modeste boutique. Elle aussi est éditrice, mais d’une respectable maison vaillamment indépendante depuis trente ans. Je suis écrasée par son expérience et mon insignifiance.

S. expérimente les synchronicités régulièrement. Elle les note et me les exprime. Je suis souvent impressionnée par la bonne pioche du hasard. Justement. Les synchronicités arriveraient-elles « par hasard » ? Ou certaines personnes, plus connectées, les provoqueraient-elles ? Est-ce que S. les provoque parce que plus connectée, ou les note-t-elle alors que nous les laissons passer ?

Note-les, me conjure-t-elle. Au départ, tu les notes. Je ne les note pas tout simplement parce que je ne les vis pas. À moins que je ne les vive pas parce que je ne les remarque pas ? C’est justement ça que je ne sais pas.

Revenons à ma fabuleuse soirée. À quoi peut donc servir d’être assise à côté d’une éditrice qui vous écrase de sa suffisance ? Je l’ai compris le lendemain : à réaliser qu’ils produisent dix-huit nouveautés par an à quatre et que j’en produis six toute seule. Qu’ils ont trente ans d’existence et moi seulement quatre. Que j’ai effectivement encore beaucoup à faire et à découvrir mais qu’au rythme actuel, dans vingt-six ans, je serai probablement au-delà de la noble maison. Après l’écrasement, l’enthousiasme motivant.

J’en déduis ma définition toute personnelle de la synchronicité : un fait qui dénoue la réalité et donne de la signification au vivant. Sera-t-elle la vôtre ?