La harpie

Wall Disney - la sorcière de Blanche Neige

La sorcière de Blanche-Neige et les 7 nains – Wall Disney (1937)



« Rhaa !!! Ce bashing de vieux cons m’emmerde !!! »


En bons professionnels, l’auteur et l’éditeur avaient torché la rencontre en moins de soixante minutes. Commençait maintenant la partie tant attendue des différents intervenants : la libraire, l’éditeur, l’écrivain et les invités-lecteurs-acheteurs. Les premiers attendaient le passage en caisse, les seconds le vin rouge. Les bouteilles étaient cachées derrière le comptoir ; on payait son livre et recevait en échange un verre plein. L’heureux breuvage dans une main, le livre dans l’autre, on se dirigeait vers l’auteur avec lequel on échangeait quelques mots qui nous flatteraient, puis celui-ci nous dédicacerait l’ouvrage ce qui nous flatterait encore davantage. Pour le reste, l’ambiance était feutrée et on parlait à voix basse.

Je papotais avec deux messieurs, l’un peintre d’un âge ancien comme le sont les œuvres de César ou Jean Tinguely (« J’ai bien connu Arman. »), l’autre discret et chauve. Nous nous lamentions contre, dans le désordre, la disparition des échanges politiques, culturelles, avant-gardistes et intellectuels dans des cafés privés de mondes à refaire et de caractère, de salles enfumées et de ballons de rouge, contre les conversations réduites à des polémiques numériques aux indignations automatiques et agressivités décomplexées, esprit vide, crâne creux, contre la chute vertigineuse du niveau des livres éducatifs, des élèves et de ceux supposés les guider, contre la perte de curiosité intellectuelle et…

« Rhaa !!! Ce bashing de vieux cons m’emmerde !!! »

Nous nous tournâmes vers les hennissements. Une femme aux cheveux paille (« Eh ! Sois polie si t’es pas jolie ! » aurait dit mon père) se glissa d’autorité dans notre triumvirat, tout en continuant à gémir. « Vous comprenez, je suis une écrivaine connue, très connue… » Et effectivement, je l’avais déjà vue lécher des culs-de-bouteille dans certains raouts littéraires.


– … Et je ne peux supporter ces discours. Vous savez comment vivaient les ouvriers au début du siècle ? Vous voudriez y retourner peut-être ? J’ai écrit un livre sur le sujet.
– Les ouvriers, je ne sais pas mais si on prend la condition des… 
– Et les guerres, vous les voulez les guerres ?
– On ne peut pas dire qu’il n’y en…

Va-t-elle enfin me laisser parler ?


– Vous connaissez la condition féminine dans les années 50 ?
– Excusez-moi mais…
– Parce que les jeunes, heureusement qu’ils sont là les jeunes, pour lancer des coups de gueule. Qu’est-ce qu’on ferait sans les jeunes sur l’environnement ?

Eh bien non.


« Parce que vous voyez, ma fille, elle a arrêté ses études, elle en avait marre de ces études-là… » Ah, nous y sommes. « … Elle adore le rap et le street art, alors je ne sais pas, mais je suis impatiente de voir ce qu’elle va faire, ce qui va sortir de tout ça.. » Moi aussi, honnêtement moi aussi, et je lui souhaite bien du courage.



Je tente tout de même une dernière remarque : « Vous ne pouvez pas dire que le niveau des élèves à la sortie du bac vous satisfait ? – Aurelia, vous permettez ? » Le peintre m’avait attrapée par le bras et m’éloignait ; « Attendez-moi ! » souffla l’homme pelé. « Vous comprenez maintenant pourquoi je ne sors plus, chuchota le peintre. – C’était qui ? demanda l’homme chauve. »

Personne, ce n’était personne. Seulement une dame pas jolie, pas polie, mondaine, hystérique, qui agresse, coupe la parole et fait malgré tout des enfants. Misère.

Paris, tu sais comme je t’aime mais parfois, ta faune me désespère.


Causeries similiaires


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *