© Aurelia Gantier
Je suis habillée comme une femme. Suis-je une femme ? Je bois un café crème en mangeant un croissant. Suis-je française ? Je suis une Française qui attend son train à la gare de Shinagawa et qui se dit : « Tiens ! Nous sommes dimanche 7 mai ! » Je suis une Française qui ment car elle sait pertinemment quel jour nous sommes, elle le sait depuis la veille, l’avant-veille, elle le sait depuis fort longtemps.
Certains Japonais ayant atteint une certaine maturité dans l’âge — autrement dit ayant largement dépassés la soixantaine — sont plus accueillants et bavards que d’autres, non pas que ces derniers ne le soient pas, mais ceux-ci bénéficient d’un atout de poids : ils parlent anglais. Ils connaissent l’Europe pour l’avoir visitée dans leur jeunesse et sont heureux de partager avec vous leurs connaissances macro-culturelles tout en vous accompagnant à la bonne station de métro.
Ces conversations, légères et inoffensives, pratiquées dans toutes les langues et tous les pays du monde, se déroulent généralement sous la forme d’un questionnaire : d’où venez-vous, où allez-vous, combien de temps restez-vous… Mais depuis mon arrivée au pays du soleil levant, cette habituelle litanie se termine étonnamment. Dans cette Asie si puissante et si moderne, sur cette île à des milliers de kilomètres de la vieille Europe, une phrase non pas interrogative mais pudiquement affirmative revient sans cesse : « there is an important election in France these days ». Effectivement.
« Comment le savez-vous ? — On en parle au journal télévisé. »
Ma France. Réaliser l’importance de ce scrutin pour le monde entier me réchauffe le cœur. On ne se sent jamais aussi français qu’à l’étranger et en ce jour mémorable, je pense à vous, à mon mandataire qui votera comme il faut, je pense au dénouement tout proche, à ces huit mois de campagne interminable, je mesure la tension insupportable de l’entre-deux-tours et l’épuisement qui nous guette ; protégée par cet éloignement salutaire, loin des réseaux sociaux et du jeu à se faire peur tous ensemble, et parce que le monde nous regarde, je sais maintenant que nous ne le décevrons pas.
Nous ne le décevrons pas parce que nous sommes la France de la Révolution française et de la Commune de Paris, la France des lumières et des droits de l’homme, nous sommes la France militante, engagée et républicaine du Général de Gaulle, des résistants de quarante et des soixante-huitards, et que cette France-là, Monsieur, cette France-là ne se couche pas. Elle reste debout, prête à affronter les défis sans peur, et elle sourit.
Ce matin j’étais fière de me dire détachée, non pas désintéressée mais détachée parce que loin de vous. Depuis quelques heures pourtant, la boule au ventre s’amuse à clignoter dans ce qui sera pour moi – et probablement pour vous – la journée la plus longue de l’année.
Une question me taraude. À huit heures en France, il sera trois heures du matin au Japon. Vais-je réussir à dormir ?