Le coeur – © Aurelia Gantier
Elle a soixante-dix ans, il en a vingt-neuf. Elle l’appelle son boyfriend. Je sais que l’amour n’a pas d’âge mais tout de même. Ils s’écrivent tous les jours depuis dix-huit mois. Cela me fait penser à cet autre couple, même version platonique, qui ne se quitte pas. Mais revenons à nos moutons numériques.
Il la connaît depuis dix ans – elle tenait un magasin de babioles et goodies japonais qu’il fréquentait -, mais depuis leur correspondance, ils ne se voient plus. Américano-philippin, il a des cheveux longs jusqu’à la taille, un côté blond un côté brun, une petite amie, un travail de vendeur dans un grand magasin et un style peu adapté à la vente d’articles de luxe. Et pourtant, elle l’appelle son boyfriend. Elle me dit que leur relation l’a transformé, qu’il ne se drogue plus ; elle me dit que leur relation l’a transformée, qu’elle a perdu dix ans et retrouvé son énergie ; elle me dit qu’elle refuse de le voir, qu’elle sait ce qu’un fossé de quarante ans pourrait causer à leur amour ; que si elle avait vingt-neuf ans, elle serait déjà dans son salon ; qu’elle n’a pas eu de relations sexuelles depuis douze ans, mais que c’est la plus belle relation qu’elle ait eu depuis longtemps.
Et pourtant, il a une petite amie. Je l’ai vue le noyer de photos, bandes-son, chansons, un message après l’autre – répond-il ? À soixante-dix ans, elle s’est teint les cheveux moitié brun moitié blond, elle singe ses photos mises en scène par des mises en scène d’elle-même. Qu’en pense-t-il ? Je pense à ce couple à qui l’on demandait s’ils étaient ensemble ; lui répondait oui, elle répondait non. Je pense à Jeune fille partageait appartement – c’est mal, je sais. Je n’ai pas les traumas de ce garçon, qui peut-être n’en a pas, mais je crois que j’angoisserais d’une telle situation. Cet autre couple encore, ces deux amis qui s’écrivent tous les jours, se voient plus que fréquemment, partent ensemble, dorment ensemble, sans que jamais la sexualité ne s’invite au milieu du salon. Quelle est la part de réalité, quelle est la part de fantasme ? Est-ce de l’amour ? Ou simplement une relation déséquilibrée : l’un aime, l’autre recherche du soutien et de l’affection ? Chez le psychologue, alors que je lui disais qu’aucun acte d’amour n’était gratuit, et qui me demandait, qu’est-ce que je cherche chez vous ?, et à qui je répondais, blessante, le chèque ? Ce psycholoque donc, lui même, qui me donnait une leçon d’amour professionnel : le chèque rémunère le temps bloqué dans mon agenda, tout le reste, toute l’affection que je vous porte, est gratuit. Qu’est-ce que l’amour ? Et lorsqu’une personne vous offre, à travers ses regards et ses attentions, une parcelle de vie supplémentaire, est-ce utile de le savoir ?