© Gusstavo Santana
Edou vient d’un pays de feu ; il est aussi doux qu’un Chinchilla. Calme et distant, il se faufile dans la pénombre du bar comme une ombre. Edou ne parle pas et ses sourires sont rares ; il n’en demeure pas moins serviable et généreux : presque tous les soirs, il glisse une assiette de charcuterie à côté du verre de blanc du client. Puis il repart.
Edou travaille dans une cave à vins du quartier quatre soirs par semaine et la journée dans un restaurant du 8ème arrondissement. Inutile de le préciser mais ça va tout de même mieux en le disant, alors disons-le, Edou n’est pas paresseux, il n’est pas là pour ça. Il a quitté la Côte d’Ivoire il y a trois ans. Il ne l’a pas choisi : il a été désigné comme volontaire au départ par sa famille. Tu vas quitter ton pays, ton village, ta famille, tes amis et tout ce qui t’a construit jusqu’à aujourd’hui pour la France et nous faire vivre nous tous ici et toi là-bas. Un pour tous et un pour tous. Je ne savais même pas que c’était possible.
Il me l’a raconté un soir, alors que je tenais le bar. Nous étions fin juillet et la cave s’apprêtait à fermer. Pour la première fois depuis trois ans, il retournait chez lui. La proximité du départ lui aurait fait desserrer les dents. Il ne m’avait presque jamais adressé la parole, bonjour bonsoir et c’est à peu près tout. Tout heureux de retrouver les siens, il me racontait une vie sacrifiée : vivre dans un pays que l’on ne connaît pas et qui vous indiffère, travailler bien plus que la durée légale de travail dans des cuisines et des arrière-salles pour le dimanche s’écrouler de fatigue ; porter le poids de la survie de toute une famille sur ses épaules, une famille à des milliers de kilomètres d’ici, que l’on ne verra ni vivre ni mourir, seulement tous les trois ans, le temps d’un été.
Nous sommes fin décembre, Edou n’est toujours pas rentré. Bientôt, m’a rassurée le patron. Sa place est restée libre, preuve qu’il est attendu. Je suis impatiente qu’il me raconte. Je serai probablement déçue : les retours au pays sont rarement teintés d’aventure et d’exotisme et souvent ternes comme des voyages d’affaires, le « Français » ne quittant ni son village ni les maisons. Nous en parlions d’ailleurs l’autre soir : africain chez nous, français chez lui, Edou, en ayant été désigné au départ, n’est chez lui nulle part.