Les lunettes de soleil de marque, les muscles sous la chemise, la voiture ; ce qui me fait craquer chez un homme, c’est le papier. Je ne dois pas être normale, ce n’est pas grave, je n’ai jamais véritablement souhaité l’être, mais un homme qui marche un livre sous le bras ou noircit un cahier dans un café éveille chez moi un intérêt généralement éteint et stimule ma rêverie.
J’y pensais aujourd’hui en m’asseyant en terrasse, à côté d’un couple d’amis. L’homme avait posé sur la table un guide de voyage : Vietnam. Quel homme ! Je l’imaginais préparer un périple de plusieurs mois, descendre une rivière en pirogue, un chapeau conique pendant sur ses épaules, longeant des haies de bambous, grimper des sentiers de montagnes perdus au milieu de rizières en escalier et d’un vert de green de golf, sac à dos et chaussures de randonnée, soleil brûlant et peau luisante. Je ne connais rien au Vietnam.
Dans la réalité, il préparait probablement un périple de quinze jours entre la baie d’Halong et le delta du Mékong, mais les sonorités exotiques me transportaient au pays des clichés : Hô Chi Minh, Hanoi… Je ne l’ai regardé que bien plus tard : l’élégance émaciée d’un baroudeur – en vérité, je n’aurais pu le voir autrement.
Des années plus tôt, j’avais fondu pour un homme et son Guide du Routard sur le Brésil, qui dépassait d’un sac débordant de livres, et dont je ne voyais pas les titres. Et je me suis dit, cet homme lit. La sensualité du papier, d’un stylo Bic, d’une main posée à plat sur la tranche d’un livre, un cahier raturé, une écriture en pattes de mouches. « Tu les aimes comment les hommes ? – Lettrés. » Mes amies se moquaient souvent de moi : sans m’en rendre compte, c’était le premier critère validant qui sortait de ma bouche : « J’ai rencontré quelqu’un hier, il s’appelle Machin, il lit. » Et il voyage.