La bifurcation

Béquilles par Aurelia Gantier


Écrire l’immobilisme et l’enfermement, mental et physique, lorsque la vie vous coupe les ailes, lorsque tout bascule, l’envie de changement, sans rupture, juste une bifurcation ; la nécessité, l’urgence de la nouveauté, enfermée à réfléchir, une mise au point imposée : quel métier, quelle passion, quel engagement, quelle vie, avec qui, comment ? Tu regardes autour de toi, les présents, les absents, les gardes-malades, tu confrontes tes angoisses et tes peurs, un appartement qui se délite, se casse, se fripe, des gens qui s’effacent, se fantôment. Souris.

Il te semble que ton esprit s’aiguise.

Tout devient plus clair, tu es pressée d’agir. Quatre semaines vont vite passer, disent-ils, quatre semaines, une éternité à ruminer en attendant la vie d’après, la vraie vie ; construire, effacer, déplacer, réparer. Souris.

Ce matin tu es sortie, la voiture te promenait sur les boulevards, tu regardais les piétons marcher, les cyclistes rouler, tu regardais leurs chaussures de marche, leur absence de sourire justement. Il y a dix ans la vie t’avait coupé les jambes, les genoux, les seins, tu avais regardé derrière toi, ces derniers mois qui ne te convenaient pas, la vie devait devenir autre. Un an plus tard tu rencontrais V. et tu vivais ta première histoire de couple véritable. Fallait-il en passer par là ?

Des journées sur l’ordinateur, travailler, travailler et écrire, rêver la vie, l’anticiper, les promenades les nuits d’hiver à Saint-Germain-des Près, bien emmitouflée, godillots aux pieds, écrire. Se demander si cette épreuve était nécessaire pour avancer. Écrire. La vie qui choisit ce moment particulier pour te faire des cadeaux, bouder, les refuser. Es-tu en pleine possession de tes moyens ? Es-tu capable de réfléchir ?

Il te semble que ton esprit s’aiguise.

La vie, imbécile, qui choisit ce drôle de moment pour te faire des cadeaux que tu n’aimes pas. Tu en veux d’autres ; il te semble que tu y as droit. Cela fait trop longtemps que tu attends maintenant, attraper le manteau de la terre nourricière à deux mains et le tirer vers toi. Tu te dis que dans quatre semaines, ce sera le bon moment. En attendant, souris.

 

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