Collage, janvier 2025 – © Aurelia Gantier
Je suis dans le bus. Le bus est gris ; les barres de maintien, les poignées, les contours des fenêtres, le revêtement des assises, tout est gris. Les sièges sont tous occupés par de petites personnes sans âme et sans visage, grises elles aussi. Debout contre la barre centrale, je suis serrée comme une sardine à d’autres personnes grises, sardine contre sardine. Je ne peux ni avancer ni reculer, je ne peux décaler les pieds, ni à droite ni à gauche, je suis collée, engluée dans le marasme gris et la réalité. Bousculée par des inconnus puants et tristes, j’étouffe, je voudrais m’échapper, mais les portes restent fermées. Je lève la tête pour mieux respirer. Et là, à travers la fenêtre aux contours gris, le ciel.
Je lève la tête et je vois le ciel, un ciel bleu et lumineux, quelques moutons affectueux. Son immensité m’appelle et je lève la main vers lui. Le bus s’immobilise, les passagers se figent, autour de moi tout disparaît enfin, dans un fondu de rien et je reste seule, seule dans le rien du bus. Je reste seule sur la route, une belle route droite, qui jamais ne commence ni ne finit, à droite le désert, à gauche le désert, les montagnes rouges et le ciel bleu. Dans mon dos, je sens des ailes s’agiter. J’avais des ailes et je ne le savais même pas. De belles ailes que je n’avais jamais remarquées. Je les déplie avec prudence, j’ai peur de les casser, elles sont tellement grandes, tellement plus grandes que moi, des ailes blanches à l’extrémité gris clair, quelques trainées de bleu, du bleu ciel au bleu foncé.
Je commence à marcher, les ailes ne me gênent en rien, elles sont si légères. Je me sens forte, indomptable et déterminée. Je marche de plus en plus vite, je trottine, et voilà que je cours, enfin, je cours, je cours le plus vite possible, je cours, j’attends le bon moment, c’est bon de courir de toute façon, et mes ailes m’équilibrent, alors je cours, et soudain je le sens, c’est là, c’est maintenant, c’est le bon moment, le bon moment pour décoller, prudemment je soulève un pied, puis l’autre et je me jette dans les airs.
Mes jambes gigotent un instant dans le vide, elles ne sont pas habituées, elles gigotent avant de s’immobiliser. Je vole. Je prends de la hauteur. Je vole. En bas les obstacles, en haut les oiseaux . Là où je vais il fait beau et chaud, les montagnes sèches des garrigues, quelques villages, des boucs. Je vole. Je fais des loopings et des boucles dans le ciel, je m’amuse à piquer, et à remonter, et piquer, et à remonter, une trajectoire tout en courbes et en légèreté. De là-haut, si vous saviez, tout est beau.