État de siège

Chaussons de danse


J’ai du thé, du café, du pain au congélateur, de la nourriture pour une quinzaine de jours.

La nouvelle est tombée la semaine dernière. La cheville, en vrac, nécessite une opération en urgence ; et qui dit opération dit immobilisation.

J’ai des pantalons évasés, des chaussures plates, des sacs en bandoulière ; j’ai annulé mes rendez-vous professionnels, repoussé le coiffeur, des produits de beauté en réserve.

J’ai vu deux chirurgiens aux analyses radicalement différentes. L’un recommandait l’opération, l’autre la trouvait trop délicate et me proposait d’arrêter le yoga, d’éviter de sortir par temps de pluie, d’être prudente en descendant d’un trottoir ; je pouvais tout autant me tirer une balle. J’ai choisi la première option, celle du jeune chirurgien enthousiaste, qui m’assure que je pourrai reprendre le yoga après la rééducation. La rééducation, ce sera dans un second temps, après l’opération et six semaines la jambe coulée dans de la résine ; après le premier novembre si j’ai bien compté. Novembre, une éternité.

J’ai trois cahiers neufs, de nouveaux stylos, deux ordinateurs portables. Je n’ai pas trop de livres d’avance mais les 1200 pages d’Alan Moore devraient me permettre de patienter en attendant le ravitaillement.

Hier après-midi, je me suis promenée à vélo. Pour la dernière fois avant de longues semaines, j’ai pédalé le long des quais, un rayon de soleil perçait les nuages, il faisait doux et rien ne me semblait plus agréable que se promener à vélo dans la ville. Avenue Gabriel, j’ai roulé sur des tapis de feuilles couleur nougatine qui croustillaient sous les roues et j’ai respiré l’odeur fraîche et vivifiante des feuilles en décomposition à plein nez. Ce n’est pas cette année que je profiterai de l’automne ; mais peut-être profiterai-je de l’hiver. Je me promènerai dans les parcs enneigés de solides chaussures au pied. Je me demande si je pourrai commencer l’année en faisant l’arbre ou le poirier.

J’ai les cannes anglaises, ma chemise de nuit et mon linge de rechange, la carte vitale et le dossier médical, une brosse à dent, des élastiques…

Et Le Moral ? Est-ce que tu l’as, Le Moral ?

Il est là, caché ; pas très vaillant, pas très fier, tout petit et tremblant sous le canapé, mais il est là. Je le prends avec moi, je le caresse entre les oreilles, il se met à ronronner. Je le mets dans ma poche. Dans quelques minutes, je partirai pour l’hôpital. Je vais avoir besoin de lui, je le garde avec moi.

Ça sonne à la porte. On y va. Et c’est parti pour la grande aventure !

 

 


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