L’appartement

Crocefissa Caltagirone_Photo_Marc Gantie

© Marc Gantier


Je voulais revoir une dernière fois l’appartement de ma grand-mère. Mon oncle allait bientôt le vider, cinquante ans d’empreinte terrestre allaient bientôt disparaître.

J’ai appelé ma marraine – elle avait un double des clés – et nous nous sommes donné rendez-vous à la pizzeria du bout de la rue, celle-là même où j’avais dîné quelques semaines plus tôt avec mon aïeule ; dans ce restaurant de quartier, nous avions vécu notre dernier moment privilégié. Je l’avais interrogée sur sa famille. Ce soir-là, parlant de son frère aîné, elle prononça ces mots qui resteront gravés à jamais dans ma mémoire, tant la formule était surprenante et drôle dans sa bouche : « Dieu ait son âme, c’était un connard ! »

Oui, je voulais revoir une dernière fois son appartement, le petit salon où s’entassaient le canapé recouvert d’un tissu à fleurs, la table ronde avec la nappe cirée, le meuble télé et ce gigantesque vaisselier en acajou, écrin de tous les trésors ; je voulais me moquer une dernière fois de sa collection de poupées régionales, elle qui ne voyageait jamais, que nous lui rapportions de nos différents séjours à travers la France et objet de multiples controverses avec ma mère (« c’est laid. – Et si cela lui fait plaisir ? ») ; je voulais imprimer dans mes souvenirs ses petites figurines en porcelaine, qui me faisaient tant rêver petite, je voulais revoir les photographies de ses petits-enfants qui envahissaient tout l’appartement, je voulais relire une dernière fois les dictons sur leurs plaques de faux bois, dans l’entrée. Oui, je voulais retrouver l’ambiance de cet appartement typique de la France populaire des années 60, celui où j’avais passé mes samedis soir à regarder Champs-Elyséessur le petit écran, cet appartement magique de l’enfance, où j’avais passé tant de bons moments.

J’ai déjeuné avec ma tante, puis nous sommes parties à la découverte de nos souvenirs. La rue sombre, la minuscule arrière-cour où je jouais avec mes cousins, nous sommes montées au premier étage, ma marraine a tourné la clé dans la serrure. Mais lorsqu’elle a ouvert la porte, l’appartement avait disparu. Mon oncle était déjà passé.

Ce n’était plus qu’un charmant appartement, parquet ciré et murs blancs, la dernière couche restait encore à poser. Rien ne restait de la bonbonnière couleur pastel et surchauffée de ma grand-mère. Nous avons passé une tête rapide dans le salon, nous n’osions plus rentrer. Je ne pouvais plus compter que sur mes souvenirs. J’ai repensé à Proust et à sa recherche, je savais pourquoi j’écrivais.

« Il n’est pas mal finalement cet appartement, repeint en blanc, non ? »

 


commentaires

  1. Richard

    Collision ; souvenirs contre présent.
    Le blanc contre le Kitsch ?
    Le Kitsch est à la FIAC.
    La FIAC est au présent.
    Le blanc n’a pas sa place.
    Souvenirs.

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