Le restaurant chinois

Restaurant chinois


Je descends du train. Les rails se succèdent les unes après les autres, grillageant les villes de chaque côté de la gare, de façon à ce qu’aucune n’ait rien à voir avec l’autre. La nuit est tombée comme une tâche d’encre, engluant les rares passants sur des trottoirs sombres et humides. Je regarde les néons du restaurant chinois qui pétillent au loin et je me souviens que…

Nous nous sommes installées à une table avec Maman. Le restaurant est calme et à peu près vide, comme à chaque fois dans ce restaurant-là. Quelques ombres nous entourent qui chuchotent, je ne les vois ni ne les entends, je les devine seulement. J’ai pris un crabe farci. La chair déborde de la carcasse. Le plat est bon mais copieux. Je n’ai pas l’habitude de manger autant. Je commande un second Coca Light pour faire passer et je me demande…

Si le poisson était frais. Je ne me souviens plus de l’explication qui avait été donnée à l’hôpital. Je monte le large escalier de bois qui mène à la passerelle. Elle n’existait pas la dernière fois. C’était quand ? Je ne m’en souviens pas. Il y a au moins quatre ans, je ne suis pas revenue depuis le déménagement, c’est certain. Ils ont dû faire des travaux depuis. Pour une fois c’est plutôt réussi. Mais que sont devenus les accès en sous-sol ? Il faudrait en faire quelque chose. Pourquoi font-ils toujours les choses à moitié ? C’est quand même dingue comme ce quartier me parait étrangement distant. Qu’est-ce que j’ai pu y traîner à l’adolescence pourtant ! Je connaissais ses rails par coeur, je les longeais pendant des heures le temps de rentrer à la maison…

À pied, j’ai décidé de rentrer à pied. J’ai trop mangé, j’ai besoin de digérer. Je sais marcher longtemps et vite, et ma mère a confiance malgré la nuit. Elle rentre en voiture, je la rejoindrai plus tard. Je marche dans la banlieue déserte, je glisse dans les quartiers résidentiels. Les pavillons me semblent tous plus luxueux que le nôtre. J’envie la chaleur confortable des salons, les grands jardins. J’avance, j’avance et je me gratte, je ne sais pas ce que j’ai à me gratter comme ça. J’arrive à la maison. Maman m’attend dans la cuisine. Elle me regarde.

Ah ! Ce regard ! La tête qu’elle a fait ! Elle était extraordinaire. Cette maîtrise dans les épreuves ! La mâchoire inférieure s’est détachée quelques secondes, le temps qu’elle se reprenne.

– Maman, ça me gratte.

– Ne bouge pas, je t’amène à l’hôpital.

– Qu’est-ce qu’il se passe ?

– Tu gonfles.

– Beaucoup ?

– Oui, beaucoup.

Quelle histoire ! C’est où Bois-Colombes ? À gauche ou à droite ? Pourquoi je ne reconnais pas ? C’est dingue quand même ! Je suis passée directement des urgences aux soins intensifs. Je faisais un œdème de Quincke. Le crabe, qu’ils m’ont dit. Je demandais à Maman son miroir de poche, elle prétextait l’avoir oublié à la maison et je savais qu’elle mentait. Elle ne voulait pas m’effrayer. Ça y est ! J’ai enfin trouvé le bon côté et la rue que je cherchais. Elle est juste à côté du restaurant chinois justement et je ne m’en souvenais pas.


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