Le fardeau

David de Michel Ange par Aurelia Gantier

Le David de Michel-Ange, Florence – © Aurelia Gantier


Il portait sa beauté comme un fardeau. Cela m’a toujours étonnée. Les hommes l’aimaient, les femmes voulaient le posséder, tout le monde recherchait sa présence ; car en plus d’être physiquement divin, c’était un homme agréable, issu d’une bonne famille et à la carrière prometteuse. Doux et attentif, sa discrétion avait le parfum du mystère. On se l’arrachait.

J’imagine que depuis tout petit, on l’avait abreuvé de sa beauté. Et pourtant, loin de le rendre hautain et désagréable, ces compliments semblaient l’avoir écrasé. Je n’en comprenais pas la raison. Aujourd’hui encore, j’ai beau me creuser les méninges, le mystère reste entier. Que portait-il de si lourd ? Est-ce que beau signifie dans les croyances populaires plus intelligent, plus riche, plus mondain ? Etait-ce ce tampon sur son corps parfait qui le rendait si triste ? Etre supérieurement beau destiné à une vie supérieurement belle, prince charmant ou dandy mondain en devenir. Etait-ce la raison de son élégance et son raffinement ? Avait-il peur de ne pas répondre à nos attentes et de n’avoir qu’une seule option de vie, celle d’être un objet de fantasme et de ne devoir jamais chuter ? Et la chute justement, en avait-il peur ? L’imaginait-il plus violente et notre indulgence plus faible, car enfin « il était si beau ». Le sentiment de devoir être Fitzgerald ou rien.

Fitzgerald, justment, dont il m’avait envoyé une citation triste ; sortie de « Tendre est la nuit », elle parlait de la fugacité de l’amour. Cette citation que je ne suis même pas allée rechercher, tant elle fait mal.

« Tu m’aimes parce que je suis beau. » C’est terrible comme remarque, terrible et terriblement injuste. Toutes ces souffrances dont il me parlait, et que je ne comprenais pas. « Tu m’aimes parce que je suis beau. » On pourrait trouver cette remarque prétentieuse ; elle ne l’était pas. Il sentait toute la fausseté de sa situation, comme si sa beauté effaçait toute possibilité d’être autre chose ; peut-être que dans son esprit, beau signifiait creux, beau signifiait vide, beau signifiait faux. Un contenant sans contenu. « Tu m’aimes parce que je suis beau. »

J’ai imaginé un secret, et la moitié de Paris qui chercherait à le percer. Je l’imaginais cacher quelque chose de terrible ; sa beauté lui coûtait trop chère, elle cachait forcément quelque chose. Pourtant, il en jouait, elle lui ouvrait toutes les portes et le monde se serait damné pour elle. « Si tu me connaissais vraiment, tu ne m’aimerais pas. » Etait-ce le syndrome de l’imposteur ? Il sera parti avec son secret. Dans un film, il y aurait eu un mort dans le placard, un Dr. Jekyll et Mr. Hyde ou le portrait d’un certain Dorian. Dans un film, on en aurait fait une histoire ; dans la vie, on en fait des souvenirs.