Mort à Venise

Photo prise par Giovanna Masiero Venise

© Giovanna Masiero


Dimanche 22 janvier, alors que j’apprenais le décès de mon grand-père, mort de sa belle mort à un âge honorable, un jeune homme se noyait dans le Grand Canal ; alors que mon grand-père mourait dans son lit à plus de quatre-vingt-dix ans, ce réfugié gambien de vingt-deux ans coulait dans une eau à cinq degrés sous les encouragements : « rentre chez toi », « idiot », « laissez-le mourir ».

J’étais justement à Venise quand j’ai appris la nouvelle. Depuis quelques jours, je voyais passer un lien sur les réseaux sociaux, je m’étais bien gardée de cliquer dessus. Puis j’ai compris : alors que je me pâmais devant les tableaux de la Renaissance italienne, un homme mourait de la pire mort qu’il soit.

Cette nouvelle m’a profondément affectée. Il n’y avait donc pas que des gentils touristes et des gentils Vénitiens dans cette ville, mais également des monstres de racisme. Et que les insultes aient été proférées par des Vénitiens ou non importe peu, excepté pour la municipalité bien sûr, qui s’évertue à démontrer que le phrasé n’est pas vénitien — il faut être italien pour s’attacher à ce genre de détail ; chez nous le type aurait été français voilà tout, mais la France n’est pas l’Italie et notre unification territoriale plus ancienne que la leur.

J’ai du mal à imaginer un réfugié de vingt-deux ans se laisser glisser dans la Seine sous les « rentre chez toi » ou les « laissez-le mourir », mais pourquoi pas. Il faut se faire une raison : il n’y aucune raison pour que ces Italiens-là soient plus racistes que nos Français ; il y a autant de cons ici que là-bas, autant de bonnes gens tellement occupées par la communion de leurs enfants qu’ils en oublient leur catéchisme, de parents qui considèrent que la vie de leur fils a plus de valeur que celle d’un gamin qui a traversé tous les déserts et toutes les mers pour arriver en Europe, de personnes qui fondent devant la vidéo d’un chaton sans s’émouvoir devant un homme qui se noie.

Et c’est à Venise qu’une fois de plus le ciel s’abat sur moi, que la beauté du monde s’efface pour laisser place à la monstruosité humaine. Et je pense à Mort à Venise de Visconti, raison de mon passage ici, je pense à l’art, à la poésie et puis je vois des mouvements de foule et des stimulations de bêtise : « Afrique », « idiot », « il fait exprès », « laissez-le mourir », « rentre chez toi ». Quelle ironie ! Quelle ironie !

 


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