Ma pomme, 1985 – © Marc Gantier
Vendredi soir, confinement oblige, j’ai organisé une soirée de confiné. C’était le week-end, il fallait en profiter. Petite infusion, gros morceau de chocolat et film français. En pyjama dans mon lit. The party.
J’ai choisi Été 85 de François Ozon. Je l’avais boudé à sa sortie. Les histoires d’amour de vacances entre garçons pendant les années 80, j’avoue, j’en avais un peu soupé ; mais ce soir-là, j’avais envie de légereté et pour ces mêmes raisons qui me l’avaient fait rejeter, j’ai choisi de me promener en Suzuki sur les bords de mer. Et puis, j’aime bien les films de François Ozon.
« À cet instant précis, il n’y avait rien au monde que j’aurais pu lui refuser. Je voulais passer tout mon temps avec lui. Et pourtant, quand j’étais avec lui, cela ne me suffisait pas non plus.
Avant que le film ne bascule dans son côté sombre, Alexis et David sont au sommet de leur histoire. Alors qu’ils dansent en boite de nuit, heureux et amoureux, je me suis sentie fléchir. Quelque chose n’allait pas. Le film venait de mettre en lumière une cavité au fond du coeur. Un coup de pioche mal placé et vlan ! Le vide, le néant, le manque, le rien se manifestait. Vous me reconnaissez ? J’étais à deux doigts de pleurer.
Je ne regrette pas mes 13 ans – mon âge en 85, ni mes 16 – l’âge d’Alexis, ni mes 18 – l’âge de David. Pour être tout à fait honnête, j’étais une adolescente triste, mal dans sa peau et désarmée, incapable de se défendre. En manque d’amour, je l’ai cherché là où il ne se trouvait pas. À l’époque, mes pensées les plus communes étaient souffrance, manipulation et suicide. Chaque réveil était un combat. Je ne vivais pas : je survivais. Non, décidément, je ne regrette pas mon adolescence. À chacun des âges notés plus haut, un souvenir qu’on aimerait effacer. Alors quoi ? Où est le manque ?
Je sais, c’est incomprehénsible mais j’ai encore envie de quelque chose comme ça. Danser me manque, les slows me manquent. Still loving you débutait, on se tournait vers le buffet, rouge sang, et on attendait qu’il nous invite et il ne nous invitait pas, ou pire, il nous invitait, il posait la main sur notre épaule et nous invitait, le coeur battait à mille allures, le slow est ainsi fait qu’on aurait pu caler un mort entre nos deux corps pendant qu’on dansait, il faisait des signes de victoire à ses copains derrière mon dos, comme si je ne le voyais pas, mais je le voyais. Les premiers émois me manquent. Ecouter Dire Straits avec JP dans sa chambre me manque, les mobylettes me manquent – pour être dans le coup, un garçon devait avoir une mobylette, ça posait. Je gardais la photo de mon amoureux dans mon portefeuille ; fripée, je la jetais. J’ai passé le permis à 18 ans, exactement ; j’ai un album dans ma tête de chansons à tue-tête à fond la caisse le radio cassette avec les copines de l’université ; et en plus, je roulais bourrée. J’aimerais encore m’émouvoir, pleurer, rire, m’enthousiasmer, draguer, aimer, être trop, en faire trop, être au maximum, à défaut de ne pas être assez, comme aujourd’hui, avoir bien appris sa leçon, être tout en retenue et s’emmerder comme il faut en société. S’imaginer équilibrée parce qu’on mange sainement et qu’on fait du yoga. La blague. Vous avez déjà imaginé l’année 2020 célibataire et confinée avec son chat ? J’ai envie de m’amuser, de me retrouver dans des soirées défoncée, fumer des cônes gros comme des cigares et boire à en vomir sur le trottoir. J’ai envie de faire le tour de la salle, le radar à mecs en marche, pour le trouver, lui, le vrai de ce soir, et que commence la chasse. Alors oui, j’en ai marre et devant Été 85, j’ai pleuré.
Le téléphone sonne. Tu as vu que ça brûle à Saint-Antoine ? Et merde. Conclusion de mon amie : va falloir que tu t’y fasses, c’est pas prèt de s’arrêter.