Vieillir

Mort à Venise, le film

Dirk Bogarde dans Mort à Venise (1971)


Au Théâtre des Champs-Elysées, nous regardions les retardataires s’affairer au son d’une sirène. Elle titubait dans l’allée, se tournait d’un côté, puis de l’autre, le billet à la main. L’équilibre lui manquait. J’ai cru un temps qu’elle avait bu, il semblerait que non : elle était perchée sur des talons aiguilles de quinze centimètres que je ne voyais pas. La moitié des spectateurs la dévisageaient, mi-fascinés, mi-gênés, un curieux mélange de honte et de tristesse dans le regard, de mépris aussi.

Je sais à quoi ressemble une femme de soixante-dix ans ; celle-ci les avait dépassés depuis longtemps. Malgré ses cheveux longs lissés corbeau noir, son corps étroit de midinette et son visage tiré à l’extrême tel une toile sur son châssis, elle était trahie par la peau distendue et tachetée de ses bras et de son décolleté. Elle était venue seule, à peine vêtue d’une courte robe laminée dorée et d’un trait de rouge. Je n’ai pas retrouvé tout de suite la référence de ce visage poudré ; c’était Dirk Bogarde dans Mort à Venise, Dirk Bogarde qui agonisait. Elle tournait sur elle-même, le billet à la main, sans trouver sa place, perdue.

– C’est triste, me dit mon amie.

– Il faut l’aider, vas-y.

– Non.

– C’est difficile pour moi avec les béquilles.

– Non, je te dis.

Je me demandais pourquoi il était si compliqué pour elle de recevoir de l’aide. Une petite vieille plus traditionnelle n’aurait pas attendu si longtemps. Son rapport à la vieillesse faisait probablement peur et nous mettait à distance. Sa vieillesse et sa solitude. Accompagnée, elle aurait fait rire, mais elle ne l’était pas. Elle était seule, toute pimpante pour le grand spectacle. Je l’imaginais fragile.

– Elle a quoi comme numéro, je ne comprends pas.

– Laisse, te dis-je.

Finalement elle a trouvé sa place sur un strapontin. Elle s’est maladroitement assise, et comme si l’on n’attendait qu’elle pour commencer, l’obscurité s’est faite sur sa robe de lumière et je l’ai oubliée.