Folle poursuite

Affiche


Mon voisin porte difficilement ses quatre-vingts ans. Son visage s’illumine à ma rencontre, mais quelques secondes auparavant, la bouche en accent circonflexe et le regard vide, chaque pas défie le suivant.

Intellectuellement, il est resté plus vif que la moyenne. Peintre de profession, il continue de tester l’aquarelle dans son appartement. Ce boulimique lecteur lit par cycle : passionné de littérature américaine, il s’est mis aux Russes récemment et les avale les uns après les autres. Je repars rarement de chez lui les mains vides : « Vous devriez lire celui-ci. »

Il aime la compagnie et les jolies femmes. Mais le corps lâche. Il est régulièrement terrassé par une étrange maladie du sommeil. L’énergie manque, s’absente, va faire une sieste si j’y suis. Il dort alors quinze à vingt heures d’affilée. Il ne faudrait pas vieillir, seulement mourir.

« Vous savez que j’ai eu un accident ? » Je ne le savais pas – nous nous croisons pour ainsi dire jamais. C’était rue de Charonne. « Une voiture m’a roulé sur le pied. » – « Pardon ? »

Au croisement avec le faubourg Saint-Antoine, alors qu’il s’apprêtait à traverser, il ne s’est pas méfié et une voiture lui a roulé sur le pied. Elle avait grillé deux feux et remontait la rue de Charonne à contre-sens. « Jamais je n’aurais imaginé qu’elle allait tourner. » Comme on pouvait s’y attendre, le chauffard ne s’est pas arrêté. Il a continué quelques mètres jusqu’à ce que sa course soit interrompue par les voitures qui roulaient dans le bon sens et dans leur bon droit. L’homme s’enfuit, laissant l’engin et sa passagère se faire cueillir quelques minutes plus tard : il était poursuivi par les flics.

– Une course-poursuite ?

– Oui.

– Comme c’est excitant !

– Vous en parlerez à mon pied. Je ne sais pas s’il en dira autant.

L’homme fut rapidement arrêté.

– Une affaire de drogues ?

– Je ne sais pas.

L’autre jour, une amie me racontait l’histoire de sa grand-mère qui avait reçu sur le pied une personne qui s’était défenestrée – question : est-il normal de se jeter par la fenêtre sans s’inquiéter du sort des passants ? Les pieds sont fragiles et les vieux, ma foi, plutôt résistants.



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