La moitié du temps – Chronique sicilienne

Pantelleria par Aurelia Gantier

Pantelleria – © Aurelia Gantier


Dans le port de plaisance, trois tapis multicolores étaient posés sur le mur de soutènement de la rampe de mise à l’eau. J’étais assise sur l’un d’eux et je balançais les jambes en rythme. À quelques mètres de moi, un DJ replet envoyait la musique. Un coucher de soleil violet, un verre de vin blanc. J’étais bien.

Le bar était installé dans une cabane en bois blanche sur pilotis ; l’absence de berge ne permettait pas d’autres arrangements. Un parking lui faisait face, l’un et l’autre séparés par la rampe sur laquelle s’agglutinaient les clients. Quelques bateaux clapotaient sur une mer d’huile ; derrière nous, une ruelle grimpait. Le port était minuscule et Kaya Kaya en constituait l’animation principale.

Les Italiennes chaussées de tongs et d’espadrilles exhibaient leurs jambes uniformément dorées – un mystère – ; à quelques mètres, leurs chevaliers servants, bermudas et chemises en lin. J’avais moi-même fait un effort : en combinaison vert bouteille et espadrilles dorées, quelques bijoux de plage pour agrémenter, je tenais à faire honneur aux touristes français dont j’étais l’unique représentante. Ou du moins, c’est ce que je pensais.

Bientôt, une famille s’installait sur un tapis à mes côtés. Si l’homme parlait français avec un accent, il ne pouvait y avoir de doute quant à la nationalité de sa femme et de sa fille. L’homme s’adressa à moi en italien, s’excusant du dérangement qu’il pensait m’imposer. Je lui répondis dans la même langue : Sono francese.

Elle habitait dans le Beaujolais et était mère d’une enfant de douze ans, qui, téléphone en mains, s’ennuyait. Le père, plus âgé, était sicilien. Leurs amis arrivèrent par vagues de deux. Des couples sans enfants, beaux et élégants. « Des Palermitains », m’a-t-elle expliqué. Il me présenta comme l’une des leurs : « notre nouvelle amie française ». J’étais touchée.

Les parents de la jeune fille se connaissaient depuis quinze ans. Elle vivait en France, lui à Palerme la moitié du temps. « Il me rejoint six mois par an. C’est un peu particulier mais j’ai déjà été mariée une fois, tu comprends. Ça me suffit. » C’était un couple à mi-temps. L’enfant se sentait aussi bien en France qu’en Italie, un flot d’amis dans les deux camps.

La mia sposa francese – mon épouse française. Gardait-t-il à Palerme une épouse italienne ? Probablement pas et dans tous les cas, la question n’avait pas d’importance. C’était une famille composée d’un enfant, d’une maman et d’un papa à mi-temps.

Plus jeune, une telle relation m’aurait semblé impossible. Je cherchais l’amour absolu, collés l’un à l’autre comme de la glu. Mais les années ont passé et le couple à distance ne me paraît plus si étrange. Avant j’étais jeune et belle et je fumais ; maintenant, je ne crois plus au prince charmant : les choses changent.

La nuit tombée, ils se sont éloignés, main dans la main, leur fille qui râlait à leurs côtés.



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