Le libraire II

Chien dans une librairie


Il est un lieu magique, un lieu qui, dans le monde entier, peut vous faire perdre des heures : la librairie. Entre les livres déjà lus – que dit le bandeau, les livres à lire, les mises en page des albums jeunesse, les guides de voyage, les livres de développement personnel et les beaux-livres, difficile de ne pas se perdre, ou plutôt, se trouver.

Depuis quelque temps pourtant, je gagne du temps : je lis les chroniques littéraires, j’écoute les émissions culturelles, je note les titres qui me plaisent et j’arrive, ma liste en main, chez mon libraire de quartier.

La librairie est grande, plusieurs employés s’y affairent. Paris est une ville de lecteurs ; l’endroit est souvent bondé. Accrochée à mon petit papier, je cherche l’homme qui m’intéresse. Il a l’habitude : lorsqu’il me voit, il s’approche : « Vous avez besoin de quelque chose ? »

La première fois que j’ai eu affaire à lui, je le regardai étrangement. Je me suis sentie obligée de m’expliquer : « Vous ressemblez à quelqu’un que je connais. » C’était en partie vrai. Il ressemblait à A., un garçon de l’université, qui à l’époque me plaisait mais à qui je ne plaisais pas, homme que je n’avais pas croisé depuis plus de vingt ans. C’est-à-dire qu’il lui ressemblait sans lui ressembler : aujourd’hui, A. ressemblerait à son père. Ou encore : mon libraire ressemblait à l’homme d’il y a vingt ans, qui doit maintenant moins se ressembler que le libraire lui ressemble. J’espère que vous me suivez.

En mon for intérieur, j’ai baptisé mon jeune libraire A. La dernière fois, il portait une pile de livres quand je l’ai abordé. « Vous posez ça ? » – « Oui, bien sûr » – je suis peut-être un tantinet autoritaire. Une fois, chose étrange, alors que je ne le cherchais pas, c’est lui qui est venu à moi : « Vous cherchez quelque chose? » – « Non merci, j’ai trouvé. »

C’est mon libraire et je le partage difficilement. Occupé à quelqu’un d’autre, il m’agace. Mais enfin, que fait-il ? N’a-t-il pas vu que je suis arrivée ? « Vous cherchez quelque chose ? » – « Oui. Un polar. Mais je ne connais rien au polar. Vous connaissez ? C’est pour un cadeau.  » Lorsque je lis de la littérature étrangère, ma prononciation des noms d’auteurs nous fait rire : « Comment vous dites ? Vous pouvez répéter ? »

Je me demande comment il s’appelle. Sûrement pas A. Il ne sait rien de moi et moi rien de lui. Il ne sait ni que j’écris, ni que j’édite. Ecrit-il ? Une chose est sûre : il lit.



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