© Alice Gantier
Je l’avais complètement oubliée. Lorsque j’ouvris la porte, ce fut une odeur solide qui me rappela son bon souvenir : mon amie italienne s’était installée chez moi pendant mon absence, elle avait amené sa chatte, Bagatelle.
Je connaissais bien Bagatelle, mais je ne saurais en dire autant d’elle. Chez moi comme en Italie, elle ne se laissait pas approcher et la plupart du temps notre relation se limitait à des échanges de regards froids et distants. J’avais l’impression de jouer à qui baissera les yeux le premier.
Été comme hiver, je vis les fenêtres ouvertes. C’est donc tout naturellement qu’à peine le sac posé par terre, j’ai ouvert mes larges fenêtres de style industriel et bien sûr, fallait-il y penser, Bagatelle a sauté à travers l’une d’elle, elle s’est élancée vers le ciel, un splendide saut dans le vide, sept étages sous elle, à peine avais-je réalisé ma peur qu’elle glissait de gouttières en gouttières jusqu’au toit de l’immeuble voisin.
Elle s’est assise, tournée vers moi. Elle me regardait. J’étais affolée. Et si elle tombait ? Et si elle ne revenait jamais ? Mon amie n’allait pas tarder à rentrer. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir lui raconter ? « Bagatelle ! Bagatelle ! Reviens ! Reviens ! » Elle ne bougeait pas et continuait à me fixer de son air flegmatique. « Satanée bestiole ! En plus elle se moque de moi. » Je ne pouvais pas partir à sa rencontre. La pente du toit est si raide qu’un seul pied dehors et j’allais me retrouver sept étages plus bas. Bagatelle me regardait mais ne bougeait pas. Mes incantations n’y faisaient rien. « Bagatelle ! Bagatelle ! » Me comprenait-elle seulement ? Je ne vais tout de même pas appeler les pompiers pour ça !
Et puis, tout doucement, au bout d’un moment qui m’a semblé une éternité, elle s’est levée, nonchalante, et s’est dirigée vers moi. Elle a sauté de l’immeuble dans la gouttière en contrebas, mon sang n’a fait qu’un tour. Elle a avancé jusqu’à moi. Elle s’est arrêtée, m’a regardée. Derrière elle, le vide. Il n’y avait rien à faire. Je me suis poussée pour la laisser passer. Elle s’est légèrement reculée, la moitié de son corps dans les airs, elle a pris son élan et s’est élancée. Elle est retombée sur le paquet tout en douceur, elle aurait sauté une marche sans plus d’effort. Elle ne m’a même pas regardée et est retournée s’affaler sur le canapé. Ce n’était vraiment pas la peine de s’inquiéter pour ça, semblait-elle me dire. J’avais maintenant compris pourquoi mon amie n’avait pas aéré. Nous allions peut-être mourir asphyxiées mais tant que Bagatelle resterait à la maison, je n’étais pas prête à rouvrir les fenêtres.
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La difficulté de la vie commune
Le chat retombe sur ses pattes, s’il tombe d’assez haut. La tartine de pain-beurre-confiture retombe toujours côté confiture. Il suffit de fixer solidement sur le dos du chat une tartine conséquent et un phénomène anti-gravitationnel se produit. Le chat reste en sustentation.
Tu peux réouvrir les fenêtres…