Le carnet japonais

Aurélia Gantier

Hiroshima, 2017 – © Aurelia Gantier


Mercredi 18 août, 8 heures. Un nouveau jour commence à l’aéroport d’Orly. Je préfère Roissy mais de la maison, le trajet en taxi est probablement moins cher – à vérifier. Nouveau jour, disais-je. J’ai imprimé à une borne la carte d’embarquement pour la glisser dans la boite à trésors – c’est dire, mais je n’ai pas commencé de nouveau carnet : je ne peux commencer un nouveau carnet à chaque rupture du quotidien.

J’en reviens toujours au carnet acheté le dernier jour de ma vie de fumeuse. C’était le 11 mai 2017 – j’ai arrêté le 12, je m’en souviendrai toute ma vie. J’étais à Hiroshima. De ce carnet, je m’en réfère comme au carnet japonais – « j’en reviens toujours au carnet japonais ». Je descendais l’axe central de la ville, tout en hauteur et en démesure, jonché de magasins de part et d’autre, et je cherchais mon nouveau carnet, celui qui marquerait le début d’une existence nouvelle. Je savais que j’arrêterais de fumer le lendemain et que le soir-même, la cigarette fumée en arrière-cour de l’hôtel serait la dernière. Je souhaitais marquer le nouveau jour avec un nouveau carnet ; je savais que je réussirais.

Les petits déjeuners japonais n’étant pas ma tasse de thé, tous les matins, je partais à la recherche d’une cafeteria occidentale ; j’y prenais un allongé et un croissant. Et j’écrivais mes notes matinales. Trois pages. Tous les matins. Ce jour-là, le 12 mai 2017, j’étais descendue de ma tour, j’avais remonté l’avenue centrale jusqu’en son milieu, toujours la même, j’ai commandé un café et un croissant, et je me suis installée avec mon nouveau cahier dans la salle, sombre et minuscule, comptoir en bois contre le mur. À la première page, j’ai inscrit mon nom. À la deuxième, j’ai noté la date, l’heure, le lieu, j’ai sauté une ligne et j’ai écrit : « Aujourd’hui, j’ai arrêté de fumer. » Suivaient les intentions que j’associais à mon nouvel ami de papier. Par la suite, les jours ont défilé et les pages sont redevenues des pages, défouloirs et brouillons ; mais je garde un souvenir des premières lignes pur comme de l’eau de source. Des mots impeccables et une volonté inébranlable. C’était beau.

Ce voyage fut l’un des plus marquants de mon existence parce que j’y associe autre chose : la conviction d’être là où je devais être pour accomplir ce qui devait être accompli, entourée d’esthétique Iki et de culture Kawaï, perdue dans la foule ou seule sur les chemins, forte et silencieuse, apaisée. Il me parait aujourd’hui étonnant que j’ai pu, fumeuse acharnée comme je l’étais, arrêter de fumer, mais il est évident que je n’aurais pu le faire que là-bas, au pays du Soleil-Levant. Sayônara.



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