La nature et moi

Lapin_Radis_Alice Gantier

© Alice Gantier


Tomates, basilic, fraises… M. n’était pas peu fier de leur balcon potager. Il était plus sceptique sur les radis : « Elle n’a planté que quatre graines. » Son sourire, coquin, attendait vraisemblablement une réaction de ma part. Malheureusement, je ne voyais pas le problème ; dans le bac à fleurs, je comptais effectivement quatre tiges. Il était plus prudent de ne rien dire ; je lui répondis par un sourire entendu. C’était encore trop peu, il poursuivit : « Elle pensait que les radis poussaient en botte, comme au Monoprix ! » Son sourire est devenu franchement bonhomme. J’allais encore me ridiculiser mais il fallait savoir : « Et ce n’est pas le cas ? » Son amie, sauvée, rit de soulagement : « Ah ! Tu vois ? Aurélia pensait exactement comme moi ! »

Je suis d’une ignorance crasse en la matière — les radis poussent le nez dans la terre, comme les carottes. Mes parents ont bien tenté de compenser mon éducation citadine en m’envoyant passer les vacances de Pâques dans une ferme ; j’y ai appris à écosser les petits pois, à ramasser les œufs de poule, j’ai découvert que le lait de vache n’avait rien à voir avec celui que me servait ma mère et qu’il était imbuvable avec toute cette crème, j’y ai développé ma phobie des insectes rampants et volants, et c’est à peu près tout. Pour le reste, je me souviens d’un magnifique ennui et suis restée indécrottablement urbaine. Aujourd’hui, je suis émerveillée par une vache, un mouton ou un cheval, au même titre qu’une girafe, un lion ou un éléphant ; l’exotisme commence là. Et je peux crier d’émotion à la vue d’un nid, sous le regard affligé de mes amis. Alors, on peut bien me parler de radis : je ne les ai jamais vus autrement qu’en botte au Monoprix.

Beaucoup de mes relations viennent de province et sont « montées à Paris », comme elles disent, faire leurs études puis travailler. Elles passent généralement leurs vacances dans une maison de famille, à la mer ou à la campagne. Elles n’ont pas le même handicap que moi et je les fais souvent rire. Je me souviens notamment d’une promenade à Belle-Île. Je montrai à un ami un terrier et lui demandai ce que c’était ; c’était un terrier de lapin. Quelques secondes passèrent :

– Aurelia… Tu pensais que c’était quoi ?

– Je ne sais pas…

Mon ami me regardait d’un air amusé :

– Mais tu pensais que ça dormait où, les lapins ?

– Eh bien, pénard sous un arbre !

Je pense que ma phobie des insectes vient de là. Incapable de reconnaître une bête dangereuse d’une autre inoffensive, j’applique le principe de précaution : se méfier de toutes les araignées qui potentiellement peuvent piquer et faire mal. Qu’on m’explique le danger des chenilles processionnaires, et je ne peux plus regarder une chenille sans avoir peur : je suis incapable de reconnaître une chenille processionnaire d’une autre. J’ai terriblement besoin d’une remise à niveau dans le domaine — matière « connaissance du milieu naturel » : 2/20 !

Cela ne devrait plus tarder. Ces dernières temps, j’ai constaté un retour de la nature à Paris, ou peut-être mon regard est-il plus réceptif. Toujours est-il que depuis quelques semaines, mon attention est attirée par d’étranges phénomènes : des coquelicots avenue de la Motte-Piquet, un essaim d’abeilles perdu à ma fenêtre, une pigeonne installée dans la jardinière d’un appartement pour y couver ses œufs… Bientôt nous verrons peut-être le développement des jardins urbains dans le centre et la transformation des parterres de fleurs en potagers. Je suis impatiente rien que d’y penser !

 

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commentaires

  1. Richard

    Eh bien, je serai ravi de t’offrir le gîte et le couvert (bon, ne rêve pas, c’est mode camping ‘on’ ) dans la grande maison cinquatienne.
    Piqûres de moustiques et de taons, agressions d’orties, les ronciers ne se laissent pas approcher sans gants de cuir, les abeilles et bourdons virevoltent, la pelouse n’est pas un green, mais je m’y allonge volontiers. Les chevaux et canards se rappellent à notre bon souvenir. Mais les reine-claude sont succulentes et les mirabelles arrivent à maturité. J’ai déjà fait des tartes.
    Les rosiers sont épanouis, les dahlias aussi, avec retard. Les noisetiers me disent qu’il y a une once d’écureuil en moi. La maison est grande, le jardin aussi, mais je ne suis pas Nicolas Fouquet.
    Quand je m’endors serein dans le train du retour je sais pourquoi.
    Pour mieux revenir, ou partir dans la petite maison, beaucoup moins lourde à porter.
    Je profite ; un jour, il n’y aura plus de jardins. Il me restera la Campagne à Paris et Paris sous les Fraises…

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